Quelques anecdotes piquantes ( !) en profitent pour me revenir à l’esprit. Evoquons donc un peu pour commencer ce fameux crochet, en apparence parfaitement anodin, fixé dans le bois du bureau. En ces temps de dictature scolaire, s’y balançaient, comme impatientes de servir, deux règles en bois, une moyenne et une plus longue. La dérision d’un élève anonyme les avait baptisées Catherine et Catherinette... Leurs multiples fonctions s’étendaient des tâches banales aux grandes exécutions... Impératives, elles soulignaient quelque notion au tableau ; Nerveuses, elles exécutaient une danse à claquettes sur le même tableau, signe tangible d’une montée d’adrénaline ; sournoises, elles caressaient les petits cheveux des nuques offertes ou se glissaient derrière une oreille désarmée, annonçant ainsi l’imminence du châtiment ; fracassantes, elles s’abattaient sur le bureau ou sur une table, faisant tressauter toute la classe et réveillant en sursaut les dormeurs du dernier rang. Elles étaient devenues les instruments dociles d’une répression banalisée... D’ailleurs, les grands, ceux du Certificat d’Etudes qui crânaient mais les redoutaient toujours, prévenaient charitablement la bleusaille que nous étions :
« Mon vieux, ici, tu dois avoir trois yeux ouverts en même temps : un pour ton boulot, un pour le maître et un pour les triques ! ... »
Comme étaient banalisées les vexations que devaient supporter tous ceux que l’on regroupe sous le peu glorieux vocable de "cancres". Répétons que dans les méthodes précitées, la pédagogie différenciée, la recherche d’une solution individualisée, le cocooning scolaire et naturellement le droit à l’erreur n’avaient pas droit de cité.. Nous vivions sous le règne omnipotent de la P.P.U ! (Pensée Pédagogique Unique) Inévitablement, elle conduisait à des sorties de route qui équivalaient, dans notre cas, à des sorties... de classe... Non pas pour musarder dans la cour désertée mais bien pour y clamer son indignité de ne pas avoir retenu la leçon ou réalisé correctement l’exercice en cours.-----
Le condamné au pilori public se voyait prié, dûment muni de son livre ou de son cahier, d’arpenter la cour en répétant à haute et intelligible voix : "Je n’ai pas appris ma leçon, je suis un âne ! ... " De temps à autre quelques commères, forcément bien intentionnées, tendaient le cou pour tenter d’identifier le coupable qui, ce que voyant, rasait les murs et baissait le ton.
Généralement, une des fenêtres de la classe ne tardait pas à s’ouvrir avec fracas et une voix rien moins qu’amène tançait le malheureux :
« Plus fort ! Je n’entends rien ! » grondait l’organe magistral.
Et le récitatif timide de retrouver sa tonalité originelle !
Doté d’un sens très particulier de la psychologie enfantine, M. J... avait inventé un système d’une perversité absolue. Très au fait des rivalités claniques qui existaient chez nous comme dans n’importe quelle classe et des relations amicales ou explosives entre les individus, il savait à merveille les utiliser à son profit. Nous étions priés d’être à l’affût du comportement de nos voisins, prêts à dénoncer publiquement tout manquement observé, contraire à l’ordre établi. Faute de quoi, par défaut de délation, nous recevions le prix de notre silence. L’épinglé ne reportait naturellement pas sa vindicte sur le maître mais bien sur le dénonciateur malgré lui. Dés lors, il n’avait plus qu’une idée en tête :
« Attends un peu mon s... que je te coince ! »
Cette forme très particulière d’autodiscipline assurait le calme dans la classe... et exacerbait les petites rancœurs, inhérentes à tout groupe de vie.
Autre anecdote à jamais ancrée dans les mémoires : l’exécution, un matin de printemps, de G.C..., présentement élève-candidat au Certificat d’Etudes... Le nommé GC, donc, était, ce matin-là, au bord de l’indigestion ! Malaise non imputable à un quelconque abus de sucreries mais bien à un trop-plein de problèmes qui menaçait de déborder du tableau noir... Et comme un malheur n’arrive jamais seul, l’un d’entre eux se révélait pour l’interrogé aussi hermétique qu’un coffre-fort... -----
C’est précisément sur cet énoncé pour le moins rébarbatif qu’il se trouva prié d’éclairer la classe de ses lumières ! Lumières qui ne virent jamais le jour car, un quart d’heure plus tard, la solution n’était toujours pas à portée de craie. La voix magistrale commença à se nuancer de réprobation puis prit carrément des inflexions métalliques qui n’annonçaient rien de bon d’autant que Mme Catherine montrait, elle aussi, des frémissements d’impatience. Jusqu’aux mouches qui s’abstenaient de bourdonner ! Brusquement, sans que rien ne le laissât prévoir, la corde se rompit... Le maître quitta la salle sous l’effet d’une brusque inspiration... Cela lui arrivait de temps à autre pour quelque document ou lettre à récupérer dans la mairie contiguë et la classe n’y vit rien d’anormal, profitant même du répit pour relâcher la pression. G.. , lui-même, sa craie à la main, ne fit pas faute d’étaler ses griefs à la cantonade :
« Mais qu’est-ce qu’il a ce matin, ce c... à m’emm... de la sorte ? Qu’est-ce que je lui ai fait ? Il devrait bien le voir que je n’y comprends rien à son foutu problème ! »
La réponse immédiate fut apportée par le maître lui-même qui avait prémédité sa sortie et se tenait à l’affût derrière la porte du couloir... Il le savait bien, le bougre, que la patience n’était pas chez GC une vertu cardinale et qu’après le supplice du gril qu’il venait de subir, il y avait de fortes chances qu’il se laisse aller à des débordements que la morale scolaire réprouve !
Le fautif, devenu aussi rouge que la craie qu’il tenait à la main, statufié par sa propre audace, encaissa en guise de hors d’œuvre, une paire de gifles retentissantes qui firent plonger sur les cahiers de calcul ses collègues terrifiés.
Il se vit signifier ensuite d’avoir à quitter l’école sur-le-champ et de ne réintégrer les lieux qu’après s’être acquitté d’une copie punitive fixée à mille lignes... Tous les élèves y compris les réfractaires au calcul mental, trouvèrent sur-le-champ la réponse à leur questionnement angoissé : Mille lignes à raison de vingt-deux lignes par page, cela faisait quarante-cinq pages d’écriture soit la valeur d’un petit cahier ! In petto, ils formulèrent un vœu à l’intention de St Charlemagne, patron des écoliers, - à qui ils se s’adressaient guère, du reste, que pour se concilier ses faveurs ! - pour qu’il les protège d’un pareil pensum !
A suivre...