Et je lave ma voiture pour gagner la haute considération de ceux qui m’entourent.
Ridicule ?
Pas vraiment ! Parce que d’un coup, moi le loup des steppes, je me sens vraiment appartenir au monde. J’étais jusqu’alors un étranger parfait, incongru, inutile, gêneur, presque. Exclus !
Je frotte, je brosse, j’arrose, je lave, j’étale de la mousse chère, je rince, j’essuie, je lustre consciencieusement.
Je me sens bizarrement guilleret. Je n’ai jamais fait ça de ma vie.
Ma Renault brille. Sentiment étrange mais pas du tout inquiétant.
Pourquoi ne pas être parfaitement heureux ?
Parce qu’à ce moment là, un moteur vrombit, parce qu’à cet instant une voiture s’arrête pas loin de moi, parce que la femme qui la conduit, que je vois en jetant un coup d’œil rapide par dessus mon capot fraîchement lustré est élégante, racée, très belle, admirable, désirable, complètement attirante ... je la connais.
Je l’ai même connue « par cœur » - de haut en bas, de bas en haut, dehors et même dedans, ... - quand nous étions sur le point de quitter l’art mineur pour l’âge majeur, il a quelques années.
Bien sûr que je la reconnais.
Je n’oublie jamais une femme aimée. Non. Jamais !
Elle se penche par la fenêtre ouverte :
- Monsieur ! Eh ! Monsieur !
Surtout ne pas me montrer, pas ainsi. Je fais un geste, de dos, comme quoi je n’ai pas le temps, pas de temps à perdre avec et pour elle, et je me concentre sévèrement sur une tâche de goudron qui bafoue honteusement l’éclat mirifique et presque brutal de ma jante arrière gauche.
- Hé !
Comme je ne répond toujours pas, le moteur s’arrête et j’entend une porte qui claque et des pas approcher.
- Hé ! Ducon ! Je t’ai appelé.
Oui, oui, si j’avais pu encore avoir un doute, je sais maintenant que c’est bien elle. Cette voix. Ce ton. Cette autorité, cette gouaille, ce caractère !
Plus elle approche plus je m’enfonce, plus je m’enfonce, plus j’ai honte. Honte de moi. Honte de cette tenue dont j’étais si fier jusqu’alors. J’en suis presque à sucer le gravier tellement ma tête est basse. Par là même je montre, j’expose mon vaste cul couvert de mauve nylon à la lune qui point, aux oiseaux qui volent, à elle qui tempête.
- Putain ! Tu vas me répondre, connard !
A ce moment là je rentre sous terre. Je suis une carpette. Elle est plantée, les mains sur les hanches, je suppose, à moins d’un mètre de moi, avec une envie absolue de me botter les fesses.
- Vous parlez français ? Vous êtes sourd ? Etes-vous complètement con ?
Surtout ne pas bouger. Surtout ne pas péter. La technique de l’autruche moribonde, au succès aléatoire.
- Tu ne veux rien dire ? C’est d’accord. Enfin, pas vraiment. Ce que je vais faire ? Rayer la peinture de ta bagnole avec mes clés, jusqu’à entendre un son sortir de ta bouche, pauvre merde !
Je sais qu’elle tient toujours ce qu’elle dit. Je me souviens de tout, que c’est elle qui m’a choisi, que c’est elle qui m’a embrassé, qui m’a forcé à mettre mes mains autour de sa taille et ma langue dans sa bouche, que c’est elle qui m’a déshabillé, la première fois, que c’est elle qui s’empalais sur moi, comme si je étais qu’un élément bandant, pas vraiment un homme, le possesseur d’un truc plus ou moins long, plus ou moins dur possédant la faculté utile d’entrer et de sortir d’elle au rythme unique de ses mouvements de désir. Un bout de bois aurait été également appréciable mais moins facile, finalement, à diriger, et moins causant avant et après coup.
A ce moment, donc, il ne me reste que peu de libre arbitre.
Je suis encore avec elle dans cette situation inconfortable d’être soit ridicule, soit lésé. Il me faut décider de bouger et je mourir, de ne pas bouger et crever comme un chien. Insoutenable vacuité de l’être ! J’ai à peine quelques secondes pour me décider. J’entends tinter ses clés. Elle doit choisir la plus acérée, celle qui fera mal au sublime métalisé de ma peinture automobile. Mille euros au moins, un ridicule futile ?
Pile, face. Face pile. Mourir crever, crever, mourir.
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Alors, la mort dans l’âme et le grouin en berne, je me dresse face à elle. Je me présente tel quel, avec tous les risques que cela comporte, en terme de ridicule avéré pour qui ne vient pas de ce quartier de beaufs certifiés conformes.
Elle me regarde et s’écrie :
- Non !
- Et bien si !
Ses yeux vont de haut en bas. Ils analysent. Ils scrutent. Ils clairvoient. Elle éclate de rire. Et je reste coi, comme l’âne mal bâté, mal sapé, mal dans ma peau, que je suis à cet instant, à ne savoir que faire. Rire avec elle ? Me suicider sur place ? Lui coller un pain ? La tuer à coup de peau de chamois, tranchante comme un rasoir, la découper, l’enfouir crânement sous le rang de tulipes qui fanent aimablement un bon mètre sur la gauche ?
- Ah ça ! Si on me l’avait dit ! Claude !
- Bonjour.
- Bonjour !
Elle m’embrasse sur les deux joues très très près de la commissure des lèvres puis se recule.
- Hé ! Très joli short !
- Euh ! Merci. Qu’est-ce que tu veux ?
- Je cherchais ta maison. Je crois, mais détrompes-moi, que je l’ai bien trouvée.
- Quoi !!!
- Ben oui, je venais te voir.
- Mais ... mais, pourquoi moi ?
Et elle m’explique que, quelques jours auparavant, revenant de Québec, dans l’avions, elle a lu un article sur moi.
- Sur moi ?
Oui, sur moi, qui disait que, malgré le Goncourt, le Renaudot, le Femina, le Nobel, l’adaptation de mon dernier roman par Spielberg, j’avais su rester simple et que j’habitais toujours dans cette banlieue triste qui m’avait vu naître et grandir. Elle me dit que la photo - prise quelques semaines plus tôt, alors que j’étais encore fier et humain, devant la tour Eiffel - avait provoqué en elle comme un retour d’affection, une excitation terrible soldée uniquement - au bord du gouffre - par une masturbation jubilatoire dans les toilettes de l’Airbus, lieux qui ne poussent pourtant guère à ce genre d’exercice.
- Tu t’es branlée en pensant à moi ?
- Ben oui ! Quoi de plus naturel ?
- Et tu t’es dit ...
- Je te veux !
- Quoi ?
- Je te veux ! Maintenant.
Je reste assez interdit. Tout cela est si sauvage, si sexuel ! Enfin, il me semble.
Après quelques secondes, bien qu’abasourdis j’accepte l’idée. Et j’en viens même à l’espérer... Que ce ne soit que sexuel...
Parce que si je peux me sentir très tenté par le coup d’un vieux coup (ultra bien conservé) je me vois mal remettre un couvert de longue durée avec cette chieuse, sublime, ultime. Un coup un seul ! Mais pas plus. Pourquoi pas ?
Avec elle ! Et alors !
De plus, je survis à grand peine dans une disette atroce qui m’accapare jour et nuit depuis la sortie de mon dernier opus. Les femmes me fuient, étrangement.
Parce que si elles achètent en masse mon livre - qui ne parle que d’elles - les femmes délaissent lamentablement le bonhomme qui l’a écrit. C’est nul !
A ce point que, des jours durant, je me suis demandé s’il ne valait pas mieux, comme avant, vendre moins mais baiser plus.
Et puis le fric est arrivé. J’acheté ma renault. J’ai acheté ma maison. J’ai rencontré mes voisins. J’ai mis mon short mauve. Alors !
Mon petit capitalisme a le cœur sec, les couilles et les poches pleines.
Constat pas même amer. Je me suis persuadé que tout ça reviendrait.
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Je pèse donc bien les choses. Je la regarde. Elle est vraiment très désirable. Même si elle est, je le sais, dangereuse comme un scorpion tout rouge. Mortelle ! Mais si belle ! En vertu de quoi pourrais-je refuser à mon corps ce corps qui s’offre à lui. Et, pour quelle raison valable lui refuserais-je ce corps qu’elle désire ardemment ? Et pour quelle absurdité devrais-je encore prolonger mon calvaire solitaire ?
Banco !
Je lui dis :
- Ok, mais pas ici. Attends, je vais me changer.
Et je me tourne pour pénétrer chez moi.
- Non !
Elle me retient par le bras, fermement.
- C’est comme ça ou rien du tout. Tu es si ... choupinet avec ton short. J’adore !
Et je n’ai pas le courage de tout gâcher, je n’ai pas la force de refuser l’appel instantané de ses seins, de son cul, de ses yeux, de sa bouche, de ... Alors je tourne la clé de mon gentil logis et, après avoir clos ma voiture si propre, je m’assied posément à la place du mort de sa Ford Fiesta qui file vers la forêt proche, s’emballe vers ce lieu bien connu et, paradoxalement, toujours aimable et très discret, où se déroulent sans fin, nuit et jour, pour autant que je puisse le savoir par une rumeur qui cours et persiste vaillamment, sous la pluie, le soleil et le gel, les amours illicites, les ébats dissimulés, les caresses cachées, les pénétrations calmes, les assauts de haut vol, les flux et les reflux des corps enlacés, les coïts volés à la masse castratrice, les immortels baisers et les baises littérales, les jouissances naturalistes, les cris longs et violons des ardeurs automobiles.
- Tu te souviens ?
- Ah ! Comment l’oublier ?
Nous avions déposé nos vélos sous un chêne centenaire. Il faisait bon alors, nous étions des enfants, un peu grands, mais enfants. Nous avions marché, un peu, jusqu’à quitter la vue des chemins balisés. J’étais un peu nerveux, elle était atomique. Elle me tirait le bras et j’ai du trébucher une vingtaine de fois avant qu’elle ne s’arrête, ne m’attrape et manque de m’asphyxier par un baiser très raide, embrasant, total. Puis ses mains sont entrées sous mon jean, ont ôté mes boutons, écarté les tissus, tant malaxé mes chairs que j’ai craqué de suite, de douleur, de plaisir, d’extrême excitation. Crainte mal définie de finir d’achever vite mes jours ligoté et battu à un tronc introuvable, excitation encore, miracle de la jeunesse j’ai rebandé de suite jusqu’à la satisfaire, tant et si bien que nous avons passé quelques bons mois ensuite, à forniquer sans cesse.
- J’étais bien avec toi.
Et je ne peux lui dire, la voiture, la vitesse, l’éloignement croissant de mon home sweet home, la certitude nacrée d’une violence prévisible, qu’elle était épuisante, tuante, fatiguante, éreintante, crevante.
- Qu’est-ce qui nous est arrivé ?
Je pense : tu étais chiante, bordel ! Mais je dis :
- Nous étions jeunes, si jeunes !
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Pendant qu’elle évoque nos troublants souvenirs, tout en conduisant, sa main approche de ma cuisse et la caresse honteusement.
Plus haut, plus haut, toujours plus haut ! Très homme, donc sensible, homme normal, je me mets à bander. Une bonne grosse érection déforme définitivement mon short et se voit comme, ne soyons pas modeste, la tour Eiffel au delà du parterre médiocre des bons toits parisiens.
Lorsque nous arrivons je suis très, très tendu, dans tous les sens du terme. Sa main ne me lâche que pour serrer le frein puis se crispe sur la ceinture élastique de mon short.
- Ôtes-moi ça. Vite !
- Hé !
- Je te veux.
Elle m’aide.
- Ah ! Mon cochon, tu n’as rien au dessous.
- Je ne porte que des caleçons. On ne met pas de caleçon sous un short.
Elle me flatte la bite.
- C’est pas mal, c’est pas mal !
Puis elle enserre mon sexe entre ses doigts qui paraissent être mille.
La pression est sauvage mais terriblement douce. Je ne ressens plus rien que l’extrême chaleur d’une montée de lave.
D’un coup elle se penche et m’avale et me gobe et me lèche et m’agace jusqu’à ce que, ne pouvant plus rien et rien retenir, j’explose littéralement, libérant mes longs sens et mes flots naturels en hurlant comme un loup.
Elle me regarde encore, l’œil bon, brillant, sincère, victorieux, fier, vengeur.
- Rien ne change jamais, ni les lieux ni les hommes.
Elle me paraît déesse victorieuse et amazone cruelle.
Puis, naturellement, je m’occupe de ses petites affaires, avec une attention et une application qui tendent à lui prouver que les femmes, elles aussi, persistent, malgré les ans, à apprécier les caresses terribles et les frictions intimes qui mènent progressivement, mais avec des à-coups, aux abandons ultimes.
Durant ces jeux de bouche et de doigts associés, je reprends une vigueur salutaire et joviale. Je chausse une capote trouvée fort heureusement, je tire la belle au dehors et m’introduis vivement, tout comme profondément, avec sérénité et une science affirmée - l’expérience, bonhomme ! - dans tous les orifices qu’elle m’accorde uns à uns, sans peine et avec joie.
Épuisés tous deux, nous regardons enfin, heureux et vides, la nuit qui tombe et le noir engloutir chaque arbre, puis la forêt, couchés l’un contre l’autre, à moitié enlacés au sein d’une herbe folle, sans parler, sans bouger, respirant le même air, comme nous étions avant, nous reposant un peu avant que d’enfourcher nos vélos pour rentrer vite dîner.
C’est parce que, soudainement, j’ai un peu froid aux couilles, que je dis :
- Il faut que je rentre.
- Bien sûr, moi aussi.
Et je l’aide à se relever.
- Où est mon short ?
Elle ramasse et enfile ses affaires.
- Euh ! Je ne sais pas. Je crois que tout à l’heure, dans l’action, je l’ai balancé par là bas.
- Où ?
- La bas, derrière la voiture. Si je me souviens bien, il est passé par la vitre.
- Oh non ! Merde !
Et pendant dix minutes nous tournons dans le noir autour de la Fiesta. Elle allume les phares mais sans grand résultat, mon bout de tissu mauve reste bêtement absent.
Impatiente, elle dit :
- Viens, rentre comme cela.
- Non, non, je ne peux pas. Je suis à poil quand même !
- Je te dépose devant ta porte. Promis, juste devant.
Donc je monte.
- Tu es sexy comme ça !
- Arrête, je ne suis pas très à l’aise.
- J’ai bien envie d’y porter la main.
- Encore ?
- Oh oui !
Et elle le fait de suite en conduisant à toute allure dans les petites rues calmes qui mènent à mon home. Elle me branle doucement avec cette attention que j’aimerais tant lui voir porter à la route devant elle. Mais ni les événements routiers, ni le reste ne m’appartient vraiment.
Et si elle réussit à parfaitement éviter tout accident, elle attire le regard aux aguets de policiers qui nous pourchassent vivement, gyrophare tournant, sirène hululant.
Elle délaisse mon sexe, je me sens, malgré tout, bien plus libre.
- Qu’est-ce que je fais ?
- Euh !
- Je m’arrête ?
- Oui, oui, bien sûr ! Tu veux fuir ?
- Je ne sais pas. Je ne sais pas si je peux y arriver.
Et elle accélère.
- Stop, fais pas la conne !
Ils sont deux, dans leur bel uniforme. L’un est grand et brun footballeur amateur. Il achète le Canard Enchaîné avec moi, le mercredi chez Thierry, vers neuf heures. Il s’appelle Gérard. Gégé ! L’autre est plus petit, boit de la bière Despé, passe sa tondeuse le dimanche à midi, est mon voisin de droite, Bruno. Me voyant, ils se gondolent magnifiquement.
- Oh ! Putain ! C’est Claude !
- Ah ouais ! Salut Claude ! Ca va !
Puis ils verbalisent pour excès de vitesse et conduite dangereuse, comme pour délit de fuite carractérisé.
Moi ? J’écope d’une double prune injuste. Une pour présentation de corps caverneux extrêmement emplis sans rien pour les couvrir. L’autre pour impossibilité de prouver mon identité, je n’ai pas pensé à prendre mes papiers.
- Mais, Bruno.
- Y’a pas de Bruno qui tienne mon gaillard !
Il en rigole encore avec force et fracas lorsque je le rencontre par dessus la clôture qui sépare nos jardins, juste quelques jours après.
Il vient m’annonce que je n’aurais rien à payer, qu’il s’en est occupé.
- Mais tu me dois au moins un apéro mon salaud.
Comme il n’est pas en service, je m’exécute de suite.
Avant de me quitter, après que je lui ai raconté toute l’histoire, en jetant quelques voiles pudiques sur les scènes les plus chaudes, il me fait promettre :
- Si tu dois voir cette fille tous les dix ans, souviens-toi que c’est toi et toi seul qui doit conduire. Avant et même après...
Je promets. La queue basse.