Elle frissonne.
Dans la pénombre de la chambre, elle ne dort pas. Quelques noctambules enivrés rentrent bruyamment chez eux, entre rires et éclats de voix.
Elle tend la main vers le chevet et prend une cigarette. Dans le bruit sec de la roulette heurtant la pierre à briquet, la flamme jaillit aveuglante, elle la regarde un instant hypnotisée par les mouvements ondulants de cette petite vie emprisonnée, mais la brûlure sur le bout de ses doigts la ramène à la réalité. Elle tire une longue bouffée qu’elle expire lentement.
Elle tourne la tête vers la gauche, il dort. Un étrange sentiment de solitude l’envahit. Elle repousse le drap, passe son tee-shirt ramassé sur le sol et se dirige vers la fenêtre. Quelle heure peut-il bien être ? Elle a oublié sa montre, mais au fond, quelle importance !
Dans la rue les enseignes lumineuses sont éteintes, la ville est silencieuse.
Elle observe sans compassion le décor impersonnel et froid qui l’entoure, les murs et les portes ont cette couleur grège qu’elle déteste . Les vêtements épars sur la moquette sombre ne laissent aucun doute sur la frénésie des premiers moments d’excitation et du désir qui s’était emparé d’eux.
La soirée a été chaude, voire torride.
Elle l’a repéré au premier regard. Il était assis seul au comptoir devant un whisky, transpirant l’ennui. Elle s’est installée à ses côtés et lui a demandé du feu. Méthode classique mais qui fonctionne toujours, quelques mots échangés, trois ou quatre verres plus tard, et ils s’étaient retrouvés dans cette pièce.
Et dire qu’elle ne se souvient même plus du prénom de cet inconnu rencontré quelques heures plus tôt, de cet inconnu qui a posé sur sa peau ses mains, ses lèvres, de cet inconnu qui l’espace de quelques minutes l’a soumise à ses volontés et à son plaisir ! Au début, cette idée l’amuse mais soudain le dégoût l’envahit. La nausée lui monte à la tête, lui serre la poitrine comme un étau.
Sortir...sortir d’ici, tout de suite, avant qu’il ne se réveille. Partir avant de devoir jouer la comédie des adieux.
Elle enfile sa jupe, cherche sous les meubles une de ses chaussures manquantes puis sort sans faire de bruit.
Couloir, ascenseur, hall....le trajet jusqu’à la sortie lui paraît interminable.
Ca y est...la rue....enfin...elle respire !
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La brise caresse doucement son visage, elle ferme les yeux, un rare sentiment de bien être s’empare d’elle...
Mais au loin, elle entend le bruit sourd de la pendule de l’hôtel de ville...un coup, deux coups, trois coups et puis plus rien. Elle doit rentrer maintenant. Elle sait qu’il l’attend. Il a du s’endormir dans un fauteuil devant la télé, il lui suffira de rentrer par l’escalier de service et de se faufiler dans l’appartement.
Elle marche rapidement. Sur les pavés, ses talons sonnent et résonnent comme des détonations régulières. Pourvu qu’il dorme ! Elle n’a pas envie de croiser son regard de chien battu, elle ne veut pas avoir à se justifier devant ses silences lourds de reproches.
Comment lui faire comprendre ce besoin convulsif qui la tenaille de chercher dans les bras d’autres hommes ce qu’il ne peut lui donner ? Comment exprimer ce grand vide qui l’emplit tout entière, cette douloureuse impression d’isolement, cette insatisfaction que nul ne peut combler ?
Eperdue jusqu’à l’ivresse, elle se donne à chaque fois avec la même fougue, le même élan, la même folie. Mais quand elle reprend conscience, écœurée par ses désirs irrépressibles, son unique envie est de fuir comme elle l’a fait cette nuit encore.
Rue de Rennes, elle est chez elle.
Elle lève les yeux, comme elle le pensait la lumière du salon est allumée. Elle retire ses chaussures en entrant dans la résidence, gravit les étages et tourne la clé dans la serrure de l’entrée de service. La porte grince un peu, elle retient sa respiration et écoute. Aucune réaction, elle referme lentement et sur la pointe des pieds traverse l’appartement. Elle évite le salon...tout à l’heure quand il lui posera des questions, elle pourra mentir sur l’heure de son retour.
La lumière du soleil entre par la fenêtre et se dépose sur son visage la réveillant doucement, elle entrouvre les yeux...huit heures, il faut qu’elle se lève, le bureau l’attend . Elle s’étire lentement comme un chat paresseux et file sous la douche.
En se séchant les cheveux, elle entre dans le salon où la lampe est toujours allumée. Il est allongé sur le canapé, la tête inclinée. Elle se penche doucement pour éteindre la lumière mais sur la table, bien en évidence une lettre lui est adressée, en la prenant, elle reconnaît l’écriture fine et allongée de son mari. Surprise, elle se tourne vers lui en décachetant l’enveloppe un peu froissée et c’est alors que près de ses lèvres elle aperçoit un mince filet de sang séché . Ce n’est qu’à ce moment-là qu’elle voit l’arme tombée près du canapé. Le monde semble s’écrouler sur ses épaules, elle s’agenouille le visage entre les mains.
Au même moment, à quelques pâtés de maison de la rue de Rennes, l’inspecteur Blanchart pénètre dans une chambre d’hôtel. Dans un lit défait, un homme gît, un poignard planté dans le cœur. « C’est la femme de chambre qui l’a découvert en nettoyant les chambres...comme d’habitude la mort remonte à une ou deux heures du matin, un seul coup de couteau suffisamment profond pour que la mort soit instantanée...Si vous voulez mon avis inspecteur, c’est un meurtre de femme ».