Le sablier passe son doigt sur la balustrade, elle est couverte d’une poussière dorée, laissée là par le passage d’une étoile inconnue. Il souffle sur la poussière et elle s’envole, prenant soudain la forme de cet animal fugitif que nous visitons avec prudence au Jardin d’Acclimatation. En silence, le sablier suit des yeux l’animal qui a rejoint les nuages et s’y est langoureusement allongé. Une pluie de flèches noires s’abat des nuages sur l’armée des conquérants et en atteint un grand nombre. Ils tombent sans un seul cri dans la neige. Leur chef s’élance à leur tête sur son cheval noir et fougueux ; les rubans de son costume flottent dans le vent de la course ; son visage est éclairé d’un sourire cruel. On entend, venus des montagnes voisines, l’écho des cascades et le souffle du vent dans les ravins. Le sablier verse dans l’entonnoir les fragments de bouchon du vin vieux, les caractères échappés de la machine à écrire, les fils de soie que le métier n’a pas encore tissés. Les cavaliers survivants poursuivent leur marche obstinée en direction de l’horizon légèrement arrondi comme la courbure de ton épaule. Ils chantent d’une voix éraillée et le vent colporte des bribes de chansons qui parlent de jardins et de fontaines. Dans la pénombre du café, au tamis du vin, le sablier recueille des fragments méconnaissables de parastases anciennes. Il dispose leurs tessons usés avec la patience de l’archéologue. Il essaie de reconstituer ici et là ce qu’a pu être le chaînon manquant. Des musiques célestes le traversent et l’imprègnent. N’aurait–il pas dû aller à Samarcande ? Une incertitude le retient. Où donc a–t–il rencontré le peintre japonais ? Il boit à longs traits l’eau rare des îles. Entre ses doigts, le froissement du basilic a laissé son odeur.
18/5/06