Sur le flanc de la montagne, à l’orée d’une petite clairière, au milieu des chênes verts et des pins Odile avait retapé et remis à neuf un vieille bergerie. Elle aimait ce pays où elle avait vu le jour il y a maintenant 45 ans, et cette terre était magique. Elle vivait à Paris, mais venait aussi souvent que possible se ressourcer dans cette région si verte et douce à son cœur. C’est décidé : elle était née ici, elle retournerait en terre ici !
Elle avait connu Marc à Paris, elle l’avait amené ici et lui, le Parisien, il avait su aimer ce pays perdu et son havre de paix, perdu sur ce flanc de coteau. Elle l’avait épousé voilà déjà dix ans, ils s’aimaient passionnément mais comme toute passion, il y avait souvent des étincelles. Ce soir là ils avaient dîné comme à l’accoutumée et leur discussion s’envenimait, ils n’étaient pas du même avis, et chaque fois cela tournait à la dispute.
- Non te dis-je ! je ne suis pas d’accord, la réincarnation ! ! ! ! mais que vas tu encore inventer ? Je n’y crois pas !
C’était Odile qui, excédée, répondait vertement à Marc. Elle en avait assez pour ce soir.
« Je descends au village, chez Nancy, j’ai envie de calme ! dit-elle d’un ton amer. »
Marc répondit, excédé à son tour :
« C’est ça ! va voir ton amie, demain tu seras plus calme, c’est impossible d’avoir une conversation avec toi ! »
Elle sortait de la maison, quand un coup de tonnerre retentit au loin, derrière la chaîne montagneuse, l’orage menaçait depuis la fin de la journée, mais il était encore loin . Elle connaissait bien cette région, et pour arriver avant la pluie elle décida de descendre par le raccourcit du bois. Elle l’avait fait des centaines de fois, et elle avait envie de marcher pour chasser sa mauvaise humeur. La forêt était silencieuse, entre chien et loup, les oiseaux du jour se sont calmés et ceux de la nuit ouvrent à peine un œil, seule une brise légère annonçant la tourmente proche, faisait bruire les branches des grands arbres. Mon dieu ! qu’elle aimait être ici ! L’air était lourd, et elle descendait lentement, s’arrêtant à chaque détour du chemin pour cueillir une baie, ou humer l’air autour d’elle. Une chauve-souris, intrépide et goguenarde passa juste au dessus d’elle comme pour la narguer, une chouette hulule au loin, la lune passe juste le sommet de la montagne, Odile est heureuse. Sa colère est oubliée.
Tandis qu’elle avance, la nuit se fait plus noire, et l’astre si luisant il y a quelques instants, se cache derrière de lourds nuages chargés de pluie. Elle pense à Marc, et regrette une fois de plus, sa réaction impulsive, qu’ils sont idiots tous les deux de se chamailler ainsi, mais en fait leur couple fonctionne comme ça, il faut se rendre à l’évidence. Tous les hommes qui ont croisé sa vie, elle s’en est lassée, elle aimait à le retrouver après leurs échanges quelque peu musclés. Mais tant pis, elle avait dit descendre au village, elle irait !
Le vent commençait à souffler entre les rochers, son sifflement presque féroce, commençait à devenir assourdissant. Odile pressa le pas, il fallait arriver avant la pluie, les orages sont violents dans cette région.
Alors qu’elle traversait le pont qui enjambait la rivière, les premières gouttes frappèrent violemment les planches mal jointoyées. _ _ Elle sourit apercevant les lumières du hameau un peu plus loin en contrebas.
La pluie était chaude et bienvenue, cela rafraîchirait l’atmosphère lourde de cet été caniculaire. Le tonnerre grondait, les éclairs zébraient la nuit noire, elle avançait encore mais, l’orage était juste au dessus, elle décida de s’abriter quelques instants sous une roche surplombant le précipice, pour attendre une accalmie.
Mais ce soir la, c’était différent, le ciel était devenu fou, les rais de lumières embrasaient la montagne, le ciel déversait un déluge d’eau, les rapides de la rivière vrombissaient, l’eau déferlait à toute allure, on aurait dit presque l’apocalypse. Au dessus d’elle un fracas de roches se fit entendre, la paroi ravinée pas les eaux, laissa échapper une grêle de pierres. Elle se réfugia prestement dans une anfractuosité attendant avec anxiété l’arrêt de l’avalanche. Le temps lui semblait interminable, et au moment où elle pensait le danger écarté une pierre vint la frapper violemment sur le dessus du crâne.
Elle perdit connaissance.
Combien de temps était elle restée ainsi, elle ne le savait pas, lorsqu’elle se réveilla il faisait encore très sombre, l’orage avait cessé, la terre regorgeait d’eau, elle avait mal au crâne : tout lui revint à la mémoire. En fait, elle s’en sortait bien : une bosse sur la tête et quelques égratignures. Elle s’ébroua, et décida de reprendre sa route vers le village. En se levant elle ne vit pas les lumières du village, sûrement une panne due à l’orage, se dit-elle. Comme elle reprenait sa marche, elle se sentait mal à l’aise. Tout était étrange autour d’elle, la végétation avait changé, tout lui paraissait inconnu . Les arbres semblaient immenses, l’herbe était touffue et haute, elle ne reconnaissait rien ! Plus elle avançait, et plus elle doutait de sa raison. Chaque pierre, chaque rocher de sa montagne elle les connaissait, et là ! plus rien n’était familier. Elle marchait au hasard, et cherchait un point de repère, rien ! vraiment rien ! Mais où donc était-elle ?
Elle continuait ainsi son chemin, toujours vers le village, pensait-elle, elle y arriverait bien ! Mais la nuit, toujours aussi noire, ne lui laissait aucun répit. Elle était bel et bien perdue, il fallait se rendre à l’évidence. Elle n’avait même pas pensé, dans sa colère, à amener son téléphone mobile ! quelle idiote !
Elle se dirigeait vers une rivière, elle décida d’en suivre le cours, cela la conduirait inévitablement vers la civilisation. Elle marchait ainsi depuis longtemps, elle commençait à sentir la fatigue l’envahir, et son mal de tête qui ne passait pas ! Plus elle avançait et plus le paysage lui paraissait aussi gigantesque et inconnu. Elle était au bord de l’épuisement, quand elle aperçut au loin, une falaise, abrupte, on aurait dit presque une immense maison, sauf qu’à son coté une douce colline semblait adossée à elle.
Elle s’approcha avec précaution il faisait plus doux et elle avait l’impression de marcher sur de la moquette. Elle était si éreintée, qu’elle décida de passer le reste de la nuit ici, et d’attendre le jour pour retrouver son chemin. Elle trouva un recoin douillet, comme tapissé de mousse et s’y réfugia en pensant à Marc qui la croyait bien au chaud chez Nancy. Elle s’endormit serrant entre ses doigts la médaille offerte par son mari, épuisée par la longue et difficile nuit, et jurant qu’à l’avenir elle mettrait une sourdine à ses coups de colère.
Marc était assis il pestait contre le caractère impétueux de sa femme, et contre son habitude de l’asticoter jusqu’à ce qu’elle finisse par exploser de rage. Odile venait de partir, et il regrettait leur dispute. Ils en reparlerait demain. Il allait se coucher quand il entendit le premier grondement de tonnerre, hum pensa t il, j’espère qu’elle est arrivée chez Nancy. Il ne trouvait pas son sommeil, Odile lui manquait, et cet orage qui n’en finissait pas, il pleuvait tellement que la rivière d’ordinaire si douce laissait échapper des grondements sourds et puissant. Il décidé d’appeler le village pour savoir si Odile était arrivée. « Allo ! Nancy ? ......Comment Odile n’est pas la ? ...........Elle est partie chez toi ce soir avant l’orage ! ! ! Mon Dieu pourvu qu’il ne lui soit rien arrivé ! » Nancy rassura Marc en lui rappelant que la montagne n’avait aucun secret pour Odile et qu’elle avait dû se mettre à l’abri en attendant la fin de la tourmente.
Marc s’inquiétait, le temps passait et il n’arrivait pas à retrouver sa sérénité. Il prit sa veste et descendit à son tour à la recherche de la seule femme qu’il avait jamais aimé, mais surtout qui réussissait à supporter son sale caractère.
Il prendrait le chemin du bois, par expérience il savait qu’Odile, quand elle partait à pied, passait toujours par là. Le portable et une lampe torche à la main il se mit en route. Il marchait à pas rapides criant son nom dans l’orage et sous la pluie, appelant sans cesse, mais seul le bruit du torrent et des éclairs lui répondait comme un écho.
Il cherchait vainement, arpentant sentier et corniche, s’arrêtant chaque fois qu’un recoin lui semblait pouvoir servir de refuge. L’orage se calmait, il téléphona de nouveau à Nancy. La même réponse négative ne fit qu’augmenter son inquiétude, mais où donc était passée Odile. Nancy le rassura de nouveau : « Nous aurons des nouvelles demain matin... » lui dit-elle.
Marc marchait toujours, il chercha ainsi une grande partie de la nuit, sans relâche. La pluie avait cessé, et il était fourbu, seul l’espoir de retrouver sa femme lui donnait le courage de continuer. Il traversa le pont, et remarqua que des rochers encombraient le chemin. _ _ Avec anxiété il vérifia éclairé de sa lampe si Odile n’était pas la, blessée ou pire peut-être.
Il ne trouva rien, quelque peu rassuré il continua sa route appelant toujours régulièrement, il voyait les lumières du village au fond de la vallée.
Il arrivait à la cabane servant de refuge aux bergers lors des transhumances d’été, se rappelant les derniers mots de réconfort de Nancy, peut-être qu’Odile est la ! Il cria son nom de toute ses forces, mais aucune réponse ne lui parvint, la porte était fermée à clef. Il décida de s’y reposer quelques minutes. Marc n’était pas un montagnard de naissance, il s’allongea sous l’avant-toit sur une couverture laissée la par un berger et s’endormit aussitôt , harassé de fatigue et d’angoisse.
Une brise fraîche de lendemain d’orage réveilla Marc, il ouvrit les yeux, et mis quelques secondes pour réaliser et se souvenir des événements de la nuit. Odile ! ! ! !
Il allait se lever, quand il sentit une présence ! Au creux de son bras, bien lovée
au chaud, une petite souris blanche dormait calmement. Intrigué, il la prit dans
une main, et remarqua qu’elle avait une grosse bosse sur le dessus du crâne. La souris se réveillait doucement, il lui parlait gentiment la caressant pour ne pas l’effrayer. Elle portait un collier autour du cou avec une petite médaille. Confusément il lui semblait connaître ce bijou, il regarda de plus près, au dos de la médaille, des caractères minuscules : Marc et Odile pour la vie.
D’une voix tendre il murmura :
- et toi qui ne croyais pas en la réincarnation !