Mon bol me fait la tête. Penché de côté, une goutte de thé ne peut le dérider. Il refuse d’agrémenter ma matinée et je sens que ça va barder :
— Bol ! Ouvre-toi !
Pas de réponse, c’est fou ce que les objets sont têtus. Jusqu’à présent il a toujours été fidèle. Y’a juste pour la vaisselle qu’il est pas fortiche mais d’un autre côté j’aime bien le tripoter, de mes doigts le chatouiller.
— Bol ! Fini de déconner, moi faut que j’aille bosser !
Rien, il est coriace et voilà sa soucoupe qui se marre. Vlang ! Elle s’est envolée, faut pas trop m’énerver.
— Bol ! Tu vois ce que j’ai fait à ta copine ?
L’autre, elle est même pas cassée, c’est dingue ! Je vais en avoir le cœur net : je me prends, je me jette, frôle le lustre, m’encastre contre le frigo, retombe... dans la soucoupe : ça craque. C’est pas elle, c’est mon épaule : cassée.
La soucoupe se marre, le bol aussi.
— Faites chier ! Pas moyen de déjeuner et me voilà amoché ! hurle-je.
La soucoupe, bonne princesse, me titille les fesses, continue à grimper et sur ma douleur se love. Je ris, j’ai plus mal, elle fait l’attelle. Le bol est plein, l’anse tournée vers moi. Mon doigt se tend, je la prends, je bois. Merde ! C’est brûlant.
— Bon, assez rigolé ! Je file. Soyez propres à mon retour !
Dans l’ascenseur, ils me suivent : mon bol et ma soucoupe dételée, mal éduqués. Ils sont collants, un peu fou et surtout flous, j’ai oublié mes lunettes.