A la suite d’un terrible accident, elle venait de perdre brusquement l’homme qu’elle chérissait plus que tout au monde en la plongeant dans un abîme de désespoir.
Elle ne parvenait pas à « comprendre » comment il était possible que son absence soit définitive et sa première réaction fut de se dire qu’elle allait le rejoindre là où il se trouvait.
« Mais où est-il ? » se demanda-t-elle aussitôt. Athée convaincue elle n’avait qu’une réponse : « il n’est plus, englouti par le néant ».
Pour la première fois elle regretta que, pour elle, Dieu n’existât pas. D’ailleurs elle pensa que s’il avait existé, il n’aurait pas permis que son amour soit aussi injustement anéanti. Vision humaine du divin auquel elle ne croyait pas.
C’est ainsi qu’elle se mit à tourner en rond dans des pensées aussi inutiles que tortueuses avec ces questions qui resteront à jamais sans réponse pour l’humanité.
Enfermée dans leur appartement, volets clos, elle avait débranché le téléphone ainsi que la sonnette de la porte d’entrée.
Durant plusieurs jours elle demeura prostrée, assise dans le canapé, le regard fixant la flamme d’une bougie qui lui rappelait l’étoile de sa vie. Son esprit errait tel un spectre interné dans un cauchemar.
Tout était encore à sa place. Leurs photos, les gravures qu’ils avaient choisies ensemble, ses livres, son piano ouvert, jusqu’à l’un de ses dossiers qui traînait sur un fauteuil.
Elle sourit en l’apercevant et se dit : « il ne va pas tarder à rentrer » tandis qu’au même instant des sanglots la prirent à nouveau à la gorge.
Puis elle réagit. Dotée d’un caractère fort, elle pensa qu’elle devait se battre contre sa souffrance afin de continuer à vivre et le faire vivre en elle.
Un terrible et invisible ennemi avait pris possession de son existence : « il faut que j’aie le courage de le combattre » pensa-t-elle.
Elle était encore jeune et avec le temps …
Elle se remémora alors le drame de ce romancier français du vingtième siècle qui avait perdu femme et enfants dans un incendie de forêt en Provence. Quelques années plus tard il avait reconstruit une famille.
Pour l’heure cela lui paraissait inimaginable.
« Refaire sa vie … quelle expression absurde ! » dit-elle à voix haute. On ne refait jamais rien, surtout dans le domaine de l’amour. Chaque être étant unique, lorsqu’on construit un nouveau couple il est forcément unique même si on traîne des blessures passées.
L’évocation du drame de l’auteur français lui suggéra en un éclair sa porte de sortie.
Elle avait toujours aimé écrire, uniquement pour son plaisir et sans aucune prétention littéraire.
« Voilà ce que je vais faire : écrire ! » se dit-elle en ajoutant : « si je ne veux pas sombrer, il faut que je raconte l’histoire de ma belle passion »
Elle pensa que ce serait aussi une façon de prolonger sa présence jusqu’à ce qu’elle accepte sa disparition et, peut-être, une bonne thérapie pour exorciser son malheur.
Sa vieille mère, très inquiète de ne pouvoir la joindre et de ne pas avoir de ses nouvelles depuis trois jours, se rendit chez elle et frappa longuement à sa porte jusqu’à ce qu’elle lui ouvre.
L’état d’excitation de sa fille à l’idée d’écrire « son » roman l’effraya un peu.
Quelques semaines passèrent et, avec une ferveur dévorante, elle écrivait, écrivait sans relâche l’histoire de sa passion, dormant peu et se faisant livrer ses repas.
Au fil des pages, elle commençait à moins ressentir sa souffrance avec le sentiment de retrouver une certaine paix. Elle avait parfois l’impression qu’il était là, à côté d’elle, comme s’ils écrivaient à deux.
Se sentant un peu revivre, elle se mit à sortir de temps en temps l’après-midi pour aller faire une promenade dans le parc voisin, presque sereine.
Un jour, sa vieille mère vint à nouveau lui rendre visite. Mais sa fille, guère présente, écourta la conversation tant elle désirait poursuive l’écriture de la biographie de son amour.
En sortant de la chambre, le regard embué de larmes, la mère demanda au médecin : « Mais qu’écrit-elle ainsi ? Elle n’a pas voulu m’en parler. »
Le psychiatre de l’établissement lui répondit qu’elle écrivait toujours la même phrase à longueur de pages : « je t’ai aimé, je t’aime et t’aimerai jusqu’à la fin des temps. »