L’accouchement fut long et difficile, cela faisait des heures que les femmes s’affairaient autour de Li-su lui faisant boire des mixtures à base de plantes et de racines pour accélérer le travail. La souffrance était intolérable mais elle serrait les poings et se mordait les lèvres jusqu’au sang pour ne pas hurler.
Sa sœur lui épongea le front, depuis que la fièvre avait fait son apparition, elle ne lâchait plus sa main, attentive au moindre signe de faiblesse. Et pourtant, Liu, qui depuis des années faisait office de sage-femme dans le village avait pris toutes les précautions. Silencieuse, elle s’affairait trompant son angoisse par des gestes lents et précis tentant de rassurer la jeune femme. Mais elle savait que chaque instant comptait dorénavant, il était temps que l’enfant vienne au monde, sinon la mère et le petit risquaient de ne pas survivre.
Enfin, une douleur plus vive, plus intense arracha un cri à Li-su. Liu l’examina et soulagée, annonça que la délivrance n’était plus qu’une question de minutes.
Li-su soupira, la sueur ruisselait sur son front, il lui fallait tenir, l’épreuve serait bientôt terminée. Elle fixa ses pensées sur le moment si proche où sa sœur poserait sur son ventre son enfant.
Un garçon, elle en était certaine, seul un garçon pouvait l’avoir fait autant souffrir.
Puis tout alla très vite, elle perdit connaissance quelques secondes mais les premiers cris du bébé la ramenèrent à la réalité.
Son corps lui faisait mal, ses membres étaient endoloris et elle était épuisée toutefois paradoxalement une grande plénitude l’envahissait peu à peu.
Mais soudain, ses yeux croisèrent le regard consterné de sa sœur. Elle n’eut pas besoin de mot pour comprendre que le fils tant espéré n’était pas au rendez-vous.
Le petit être qui s’agitait en hurlant n’était en fait qu’une fille... une de plus.
Quelques larmes roulèrent sur ses joues, elle y avait tant cru, elle avait tant prié !
Lorsque qu’elle avait mis au monde Li, Zhang, son époux avait pris dans ses bras la petite poupée de cire et avait souri. Mais lorsque Guang était née, son visage s’était assombri, il s’était tu mais s’était un peu éloignée d’elle et n’avait pas regardé le nourrisson.
Comme le ventre de Li-su s’était à nouveau arrondi, il avait pris une grande feuille de papier qu’il avait rempli de chiffres très vite et l’air grave il lui avait dit que si l’enfant à naître n’était pas un garçon il faudrait prendre des dispositions. La dote des filles coûtait trop cher et son maigre salaire ne pourrait supporter le poids d’un nouveau mariage à prévoir.
C’est perdue dans ces sombres pensées qu’elle accueillit l’enfant que Liu posa délicatement dans ses bras et lorsqu’elle lui demanda le prénom qu’elle avait choisi, elle regarda longuement ce petit bout d’elle-même qui ouvrait si grands les yeux sur le monde qui l’entourait, petit animal curieux. Un sanglot dans la voix, elle murmura Xiao-guang -petite lumière- et tourna la tête pour cacher ses larmes.
D’ici quelques jours, elle ferait ce qu’il fallait faire, ce que Zhang lui avait implicitement ordonné. Elle cuirait le riz, en donnerait un grain à l’enfant et s’éloignerait de la maison, se bouchant les oreilles pour ne pas entendre les cris de la petite. Puis, elle reviendrait serrer entre ses bras, une dernière fois, le petit corps sans vie.