La tranchée est mouvante. Entre les éclaboussures de terre et de sang, j’entends cette voix qui m’appelle :
- Wattier, Wattier, c’est toi ?
- Oui, qui est là ?
- Regarde sur ta droite, ne me reconnais tu donc pas ? Perrin ! Perrin de la communale !
- Louis ? Incroyable ! Louis ici, c’est bien toi ?
- Oui, p’tit Pierre, c’est bien moi ton copain !
J’ai vu tout d’abord un casque terreux puis un visage barbouillé et deux grands yeux bleus. Il s’est assis contre le mur de boue, puis a roulé deux cigarettes et m’en a tendu une. Les obus éclatant tout prêt nous obligent parfois à rentrer la tête dans les épaules et la peur dans le ventre, sans rien dire nous fumons .
Louis avait douze ans en mille neuf cent dix lorsqu’il a quitté l’école du village. Je me souviens de son dernier regard vers moi, un adieu.
Nous avions toujours été de merveilleux compagnons de jeux, des élèves assidus dans la classe de Monsieur Lequenec.
Lorsque nous partions en promenade éducative, bien en rang dans nos pèlerines et bérets noirs, nous étions toujours l’un à côté de l’autre.
Jeunes garçons comme vous chantiez bien
Sur le sentier du lendemain !
Des violons simplement vous accompagnent
Au loin dans la campagne
Au pied d’un arc en ciel , au bout du chemin
La liberté vous attend enfin.
Mais que vos yeux sont tristes, et vos peines
Fortes comme un poème de Verlaine
Toutes vos joies enfantines
Sont derrière vous dans un ciel qui se mutine
Prenant des couleurs cramoisis
celles de l’incendie.
Jeunes garçons comme vous marchiez vite
Juste quelques pas d’un ballet
Simple détour près du noisetier
Comme pour éviter
Certains vents mauvais.
L’église est en feu
Et l’école en ruine
Les bombes arrachent la vie
De vos parents, ceux qui vous ont nourris.
Alors ombres en pèlerines et bérets noirs
Vous fuyez l’ennemie, en pleurant dans le soir
J’ai regardé Louis. Ses beaux yeux bleus fixaient à tout jamais le ciel triste.
Pourtant, il souriait...