Il m’a menti d’un bout à l’autre.
Comme tous ces naïfs qui en ont tant et tant vu et entendu qu’ils ne savent
plus que croire, et même pas leurs yeux, j’ai depuis longtemps adopté le
principe du crédit à toute parole.
Faiblesse, mais force aussi. Car avec le temps, si certains actes me font bondir
au point de me mettre dans des situations ingérables, avec le temps je n’en
ressens que plus de tendresse pour les petits mensonges par omission, par
prudence ou par peur qui nous sont servis à longueur de journée.
Cette fois là, c’était un peu différent.
Il m’attendait dans le couloir de son service. Grande silhouette d’oiseau
déplumé, blouse blanche et visage un peu moins affable que d’ordinaire.
Sa main, dont j’aime tant la douceur satinée, l’aura de chaleur qui a toujours
su enrober la mienne dans les moments difficiles, sa main étreint mes doigts
comme si elle allait en être mordue et s’échappe pour me montrer sans un mot la
porte de son bureau.
-Alors.. ? Comment allez-vous ?
-Fatiguée. Vous avez dû recevoir les résultats d’analyse que vous aviez
demandé..
-Oui.. voyons.. où les ai-je mis.. Oui, les voici. Oui.. Rien de bien méchant..
D’ailleurs, je ne crois pas trop à tous ces marqueurs.
-C’est pourtant vous qui avez..
-Oui, mais vous savez, c’est par habitude.
Il sourit mais je devine des fils ténus accrochés l’un à l’aplomb de son mur,
l’autre à sa lampe de bureau, et qui tirent sur les commissures de ses lèvres.
Il sourit mais ses yeux baissés sont déjà envahis d’une sorte de tristesse.
-Ces marqueurs, justement. j’aimerais Docteur que vous m’expliquiez..
-Vous savez, c’est compliqué, même nous médecins. Bon,je vous explique, en
sachant qu’il y a une marge d’erreur, que ça dépend du labo etc.
-Vous me connaissez depuis si longtemps, je peux tout entendre..
-On dit ça, on dit ça..
Il se penche comme pour effacer sous l’ombre de son bureau les rougeurs qui sont
venues subitement enflammer le haut de ses pommettes.
Sa peau est habituellement claire comme celle d’un nourrisson.
Je ne le sens pas clair ce soir.
Et une étrange peur me gagne.
A la fois fascinante et terrible.
-Oui, ces marqueurs. En fait, il y a certainement un petit quelque chose pour
que vous saigniez ainsi depuis des mois, mais je vous avoue que pour moi le
plus important,c’est justement de régler ce problème d’anémie.
-Vous y croyez aux doseurs de l’anémie ?
-Ah, oui, bien plus qu’aux marqueurs cancéreux.. enfin, ce que je veux dire
c’est que..
-C’est que.. ?
Son regard évite soigneusement de croiser le mien. Pour tout dire, il fixe un
au-delà de mon front. Et ses grandes mains si douces sont agrippées sur le
bureau, dont il éloigne la chaise en se penchant légèrement en arrière.
-Je vous opère demain.
................
Couloirs qui tournent sur ma tête,
"Elle est où la salle d’op ?"
"Tout droit, Madame"..
Ca tourne beaucoup, tout droit, mais... bon.
Allongée, la géométrie est variable.
Bruits de scalpels ou de machettes ?
J’ai froid, j’ai peur, si peur...
Cyalitique( comment t’écris- tu lumière qui m’aveugle)
Blafardes sont les mouvances blanches et vertes autour de moi,
Moins belles que les vagues de l’Océan
Mais si aimantes,
De cet amour qui veut sauver , soigner, guérir.
Comment leur rendre hommage à ces hommes et ces femmes
Dont les mains me préparent, et vont me séparer d’un peu de moi ?
Mon ventre hurle de rage
Contre un crabe violant
Qui fait ses repérages
Dans mes doux dedans.
Attends un peu minable
Que je te mette en pièces
Je vais t’écrabouiller , lasériser, démandibuler
Tu n’es pas de mon signe
Zodiacal
Un scalpel va te mettre au monde
Comme un non enfant
De pourriture immonde
Te renvoyer au néant
Ou tu voudrais bien me conduire.
Tes pinces me déchirent.
Non, tu ne feras pas de moi une moitié de femme
Plutôt mourir de mort pas lente
Mais entière.
Tu n’auras rien de moi.
Ne me découpez pas
SVP,
C’est lui...
Pas ......
.......
....Tout s’est très bien passé, Madame. C’est fini. Vous êtes en salle de
réveil. Le médecin va passer vous expliquer.
Je ne sais pas si je vais le croire.
Mais dans le fond
Je ne lui en veux pas.