Je m’en souviens comme si c’était hier.
Par un beau dimanche matin d’hiver, c’était le premier vol de la journée sur un aérodrome en herbe. Il y avait un peu de gelée blanche, ce détail allait avoir son importance.
Je venais de faire un tour de piste avec mon instructeur, et alors que d’habitude on faisait des séries de cinq ou six, il m’a dit tout naturellement : « on arrête, reviens au parking ». Je dois dire que cette interruption inattendue a provoqué des interrogations chez moi, quelle bêtise avais-je bien pu faire pour mériter ce retour ?
Je n’étais pas au bout de mes surprises, arrivé au parking il me dit : « n’arrête pas le moteur, je descends et tu vas faire trois tours de piste tout seul ». C’était donc çà. Cet instant mémorable m’a inspiré une réponse non moins mémorable : « oui ». Je ne savais pas encore que des années plus tard il m’arriverait de me retrouver à la place de cet instructeur qui descend.
Roulage de nouveau vers la piste, vérifications avant l’alignement, alignement et là l’instant de vérité, il faut y aller, restituer tout ce que j’ai appris. La suite ne dépend plus que de moi. Plein gaz progressivement, l’avion tire à gauche, c’est normal un moteur à hélice à cause de différents effets et couples ne tire pas tout droit, mais il suffit de contrer avec les gouvernes et si on anticipe un peu c’est tout simple, presque plus simple que lorsque l’instructeur est là. Seul à bord, l’avion accélère plus vite , décolle plus tôt, monte mieux et la visibilité vers la droite est bien dégagée par l’absence de l’instructeur, presque une impression de vide.
Pendant ce circuit, je suis sûr d’avoir chanté, très mal certainement, mais j’ai chanté.
Et puis déjà, le retour dans l’axe de la piste, ne pas manquer le point de mise en descente et à ce moment-là j’ai remarqué, sur la piste des traces de roues sur la gelée blanche. Des traces de roues qui n’allaient nulle part si ce n’est vers le ciel et j’ai réalisé que oui je volais seul, je ne rêvais pas . Je n’aurais pas su inventer ce détail.
Mais trève de rêveries, retour sur terre, il faut encore se poser. Un arrondi souple et les roues touchent. Remise de gaz, cela repart pour deux tours et c’est fini. Je dégage la piste et roule lentement vers le parking. J’ai toujours considéré que le roulage et le rangement de l’avion devaient être aussi soignés que le vol. Ils font partie du vol.
Arrêt moteur, c’est fini, je descends de l’avion et ferme la verrière avec respect : il m’a emmené sans mauvaise surprise pour mon premier vol solo.
Banale aventure en vérité, mais tellement importante pour moi.