Je ne veux pas que tu ailles en Toscane.
La jeune fille tressaillti, s’étranglant avec le riz brûlant qu’elle s’apprêtait a avaler. Elle soupire d’exaspération, lève les yeux vers sa mère. Le regard brun sombre, couleur chocolat au lait, un peu boudeur, comme celui d’un enfant qui sait parfaitement qu’il n’aura pas ce qu’il veut, la fait presque sourire ; mais au dela de cette nuance, un sérieux et une inquiétude si dense que l’adolescente sent son début d’énervement s’envoler comme plume au vent.
Pourquoi ? Tu n’a pas de raisons d’être inquiète, ce n’est pas la première fois que je part avec la chorale, et tu...
Je sais, coupa l’adulte, mais... Oh, je sais pas, je le sens pas, ce voyage...
Malgré des paroles aussi rassurantes, patientes et rationnelles que possible, la jeune fille ne put tirer de sa mère que ces quelques paroles butées et des mouvements négatifs de la tete.
***
Tu es sure de vouloir y aller ? je t’ai dit, je le sens vraiment pas, je sais pas...
T’inquiète, maman, tout ira bien. t’en fais pas.
Elle agita la main, rajusta son sac sur ses épaules. Après une dernière embrassade de sa mère et un coup d’oeil en coin sur le front plissé de cette dernière, la jeune fille rejoignit ses camarades, saluant gaiement les amies qu’elle n’avait plus vues depuis si longtemps. Alors qu’elle les suivait vers la porte d’embarquement, savourant leurs bavardages insouciants, les paroles de l’adulte s’effacèrent lentement de son esprit, ne laissant qu’un frisson glacé que certains appellent parfois l’appréhension. A moins que ce ne soit même qu’une impression, une illusion...
***
Le bitume craqua sous le poids soudain de l’appareil. Les immenses roues crissèrent, trovuèrent sans douceur un appui fiable pour supporter les tonnes d’acier et de chair ; leur friction avec le sol ralentit progressivement la course effrenée de l’avion rattrapé brusquement par la gravitation. Le monstre enfin se controla, prit le chemin illuminé de son "parking", s’immobilisa, deversant à terre son flot de chair humaine vêtue d’étoffes bariolées, contrastant avec le gris pluvieux du ciel morne de la fin de l’été belge.
La jeune fille ne put s’empêcher de sentir le soulagement l’envahir. Elle est vivante, finalement, le pressentiment de samère n’aura été qu’un souvenir sinistre, un fantome hantant ses instans de solitude. Elle suit le groupe de jeunes chanteurs, sentant à peine le poids de sons sac, les pieds ailés par la joie du retour. Peut être allait elle enfin pouvoir écrire ce texte qui lui trottait dans l’âme... Il y avait aussi ce job d’été, puis l’université, enfin ! Et puis ses amis du net... Sans parler de son père, qu’elle n’avais plus vu depuis un mois... Son flot de pensées fut soudain interrompu par le sourire de sa mère, sous les néons colorés du hall d’arrivée.
Quelques minutes plus tard, le lent frottement des roues sur la route et le bruit régulier de la pluie sur les fenêtres de la voiture eurent raison de son envie de partager les anectodes du séjour avec l’adulte. Elle boucla sa ceinture, en un geste machinal, et glissa lentement dans un sommeil profond.
Elle ne vit pas le camion dans le virage, pas plus qu’elle n’entendit les glissements affolés des pneus sur le bitume humide. Elle ne vit pas le fossé, toujours plus proche.
Elle vit seulement ce drap blanc se rabattre sur le visage de sa mère.