La tristesse se lit dans ses yeux. Elle a tout pour être heureuse, pensent les yeux qui la croisent. Alors pourquoi cette détresse au fond de ses prunelles ? C’est le regard des autres qui en est la cause.
Ce regard, perçant, inquisiteur, brûlant, scrutateur qui juge. Ce regard pénétrant qui s’insinue en vous.
Ce matin des yeux lui ont dit : "tu n’as pas honte ? regarde toi ! comment peut-on être aussi jolie ? c’est inadmissible. Et cette tenue ! chemisier rouge, jupe noire, et bas de surcroît, que l’on devine sous la jupe apprêtée !" Et quand, descendant sans vergogne, ils ont critiqué ses talons fins et discret rehaussant ses hanches bien faites, et ses longues jambes aux mollets galbés, ce fut le coup de grâce.
Elle a pourtant croisé un jour, des yeux différents, des yeux qui ne se sont pas appesantis sur son physique, mais sur ses mots. Des yeux qui savaient lire ! Des yeux qui ont su deviner sa détresse et sa solitude. Des yeux attentifs et amoureux.
Elle a écrit pour ces yeux là, elle s’est donné corps et âme sur la feuille, elle a enfin oublié les yeux des autres, et dans ses pupilles pétille la joie.
Elle se noie dans son regard, il se noie dans ses mots.
L’histoire pourrait s’arrêter là, mais non, bien sûr,le regard des autres a encore frappé, le regard des gens bien, celui des gens "honnêtes", qui croise dans la rue une femme à l’apogée de son âge, tenant par le bras un homme beaucoup trop jeune.