Quand je suis entrée dans le café, tous les habitués qui me connaissent se sont retournés pour me saluer. Leurs regards m’ont tous dit la même chose : » Elle n’a pas si mauvaise mine que cela pour une malade … elle est en forme … bah, malgré sa coupe de cheveu à la Barthez, elle va bien finalement… ».
J’ai eu un sourire très triste en moi-même. Oui, en ce début d’après-midi, je vais assez bien. J’ai recouvert mon visage de couleurs factices, j’ai endossé mon artifice pour que ma silhouette soit conforme à l’image d’une femme entière, j’ai posé mon chapeau sur ma tête de manière un peu plus gaie et enfilé mes bottines pour garder un semblant de féminité. Et dans le miroir de leurs yeux, je me sens presque normale.
Mais, où étaient-ils cette nuit quand je faisais la navette entre la chambre et les toilettes, titubant sur mes jambes dont chaque articulation se rappelle à mon souvenir par des douleurs enflammées ? Bien au chaud sous leur couette, profondément endormis après une journée de labeur et un diner arrosé de bière devant un match de foot … je les connais bien …
Où étaient-ils quand j’ai grimacé pour enfiler mon pull en me « tordant » le bras activant mes premières sensations douloureuses quotidiennes dans ce membre dont je ne peux et ne pourrais plus jamais me servir comme eux, m’obligeant à demander de l’aide pour des actes si simples comme pousser un caddie dans un supermarché ? Tranquillement en train de se raser devant la glace de leur salle de bain, râlant quand la lame mal orientée leur a écorché la peau.
Où étaient-ils durant ce dimanche de repas en famille avec mon mari, mes enfants et des amis quand, en plein fou rire d’une blague légère, mes lèvres se sont tordues en un rictus de douleur, les doigts ont lâché les couverts précipitamment pour que mes mains puissent venir tenir mes côtes, les larmes coulant sur mes joues sans que je n’y puisse rien pendant que mes lèvres laissaient échapper un cri angoissé. Tous les visages des gens aimés se sont figés sur une expression de tristesse et de désespoir. Mon âme pleurant de leur gâcher ce moment de joie, malgré leurs paroles pleines de compréhension ? Assis, une main sur le ventre, l’autre portant un verre à moitié vide d’un liquide alcoolisé pour arroser une conversation très « sérieuse ».
Où étaient-ils …. Autant de gestes et de moments simples pour eux et si différents pour moi comme dans une autre dimension…
Oh, ne croyez pas que je leur en veuille. Je les comprends. Il est très confortable de ne pas voir, de continuer à se lamenter sur des petits riens, plutôt que de réaliser que la vie ne tient qu’à un fil … après n’avoir tenu qu’à un cordon …
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Regards et aveuglements
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Non, pas d’apitoiement ... juste peut-être un soupçon de révolte ... mais, parfois ce soupçon ne vaut-il pas mieux qu’une vague triste et froide ?