J’avais longtemps vécu seul, sans jamais rencontrer âme communicante avec laquelle je pourrais échanger quelques idées, lorsque je tombai nez à nez avec un petit bonhomme, dans l’Erg Chebbi que je traversais à pied pour les besoins d’un film.
- Bonjour dit le petit garçon.
- Bonjour ! Que fais-tu là tout seul ?
- Je ne suis pas tout seul, j’ai ma Planète Bleue, là, tout près, aux portes de Merzouga.
- Ta Planète Bleue ? Qu’est-ce que tu me racontes là ?
- Je viens de M31*, sur mon grand tapis bleu : c’est ma planète à moi et j’ai invité des amis à venir jouer sur ce grand espace ludique. Mais en ce moment, je cherche mon renard apprivoisé qui a disparu ce matin, tu ne l’aurais pas vu ?
- Non, je n’ai pas vu le moindre animal depuis mon départ. Euh, si, juste un zhab** qui a cherché à me donner un terrible coup de queue.
- Oh, quel dommage ! On apprivoise un être, on en fait son ami et d’un seul coup il vous abandonne au premier mot de travers.
- Mais vous vous êtes fâchés, lui dis-je ?
- Non, pas exactement, mais nous n’étions plus d’accord sur l’utilisation du grand tapis volant bleu. Il était ouvert à tous, à tous les jeux au départ et j’ai voulu réserver un tout petit enclos à un groupe d’amis choisis, comme Montaigne et La Boétie, Castor et Pollux ou Sodome et Gomorrhe, avec un manège ancien récupéré dans le grenier de grand-mère. Quand mon ami le renard a vu cela, il est parti dans les dunes au petit matin.
- C’est dommage de quitter un ami pour une si petite dispute. Il ne t’a pas dit au revoir ?
- Non, il est fâché car je ne l’avais pas invité dans le manège. J’avais juste dit "N’essayez pas de frapper à la porte du manège. Inutile, le groupe n’appellera que des élus." Je crois qu’il a été blessé par cette formulation. Alors, il est parti dans le petit matin frileux.
- Mais je ne comprends pas. Tu n’avais pas invité ton ami le renard dans ton caroussel ?
- Non ! J’avais juste appelé les plus anciens de mes copains rencontrés un peu plus tôt au cours de mes voyages et quelques amis à eux qu’ils m’avaient recommandés.
Alors, le petit garçon me raconta toute l’histoire. Comment il avait quitté les horizons de M31 après s’être un peu fâché avec son frère pour une rose qu’il lui avait coupée alors que celui-ci était en voyage sur la Terre. Comme il s’ennuyait beaucoup de ce frère bien aimé que tout le monde appelait Le Petit Prince, il était parti à sa recherche sur sa planète-aéronef toute de bleu vêtue, un immense tapis volant sur lequel il avait invité plus de 600 @mis au passage.
Mais parfois, il trouvait que ça faisait beaucoup de monde, que c’était bruyant, que les cacophonies et parfois une certaine médiocrité d’ensemble devenaient fatigantes. Alors il avait créé cet espace nouveau où il espérait se sentir un peu plus chez lui. Car en fait les @mis s’étaient approprié son beau tapis volant.
- Mais, lui dis-je soudain, il n’y a que le renard qui est parti ?
- Oh non ! Il y a aussi une petite fée, une musicienne, un gnome, un corbeau freux et un chat sauvage. Mais ceux-là c’est moins grave, ils me fatiguaient avec leurs discours.
Le frère du Petit Prince me raconta aussi qu’il était toujours à la recherche de son cher frangin disparu depuis quatre ans déjà. Il lui avait bien racheté une rose, encore plus belle que la première, mais le garçon, entêté, ne voulait rien entendre. Il avait bien cru pouvoir l’approcher sur une île, tout près de Zanzibar mais le roitelet était reparti illico vers un nouveau désert.
Mon nouvel ami était désespéré. Il ne savait plus que faire. Il me dit, avec des sanglots dans la voix :
- Dessine-moi un renard.
- Hein !
- S’il te plaît, dessine-moi un renard !
Ému, je sortis mon carnet de croquis qui n’était là que pour y porter des story boards potentiels et je lui dessinai un renard, avec de longues oreilles, comme ces ravissants fennecs qu’on voit trotter dans le désert. Je le lui tendis.
- Non ! Pas comme ça ! Le mien n’a pas de longues oreilles aussi laides.
Je raccourcis les oreilles avec la gomme de mon crayon et lui redonnai la feuille. Cette fois, il la prit, regarda attentivement le croquis, sourit avec tristesse, replia le dessin en deux et le glissa dans une pochette contre son cÏur.
- C’est exactement ça. Merci.Euh, c’est comment ton nom ?
- Merlin ! Je m’appelle Merlin et je suis enchanteur, je veux dire cinéaste. Enfin je tourne des films. Ce grand sud est mon deuxième pays mais je viens d’Armorique, d’une belle forêt tout au bord de la mer.
- Y a -t-il des renards dans ta forêt Merlin ?
- Oh oui ! Il sont nombreux. Il y a aussi des blaireaux, des sangliers, des lapins, des daims, des cerfs et des biches. C’est une forêt très giboyeuse.
- Est-ce que tu crois que je peux aller poser mon tapis volant par là-bas Merlin ?
- Mais oui, bien sûr petit bonhomme, tu peux. Je suis sûr que tu trouveras de nombreux amis là-bas. Il y a des korrigans, des farfadets, des goublins, une fée enfermée dans un plais de glace.
- De glace ? Ouh, elle doit cailler !
C’était la première fois que j’entendais le garçon prononcer un mot d’argot.
- Non, elle est habituée. Mais elle est surtout très triste parce qu’une personne de son entourage a été très désobligeante avec elle et elle est si sensible que je crois bien qu’elle en pleure encore.
- Elle est comme moi alors ?
- Oui, un peu. Mais elle n’a pas coupé la rose préférée de son frère.
- Euh, tu crois que je le connais celui qui a été désobligeant envers elle ?
- Peut-être...
- Ce n’est pas bien gentil de sa part, n’est-ce pas Merlin !
- Non mon ami, mais tu sais les hommes sont ainsi faits. Il s’aiment un moment puis se déchirent parfois, un jour, pour des broutilles sans intérêt. C’est juste après qu’ils regrettent leurs maladresses.
* M31 : La nébuleuse d’Andromède
** Zhab : Un fouette-queue ou uromastix, lézard du désert à la queue hérissée d’épines redoutables.