Je m’attendais à ce qu’elle me jette comme un mégot trop consumé.
Je m’attendais à ce qu’elle me trouble telle l’eau le pastis.
Je m’attendais à ce qu’elle fasse de moi le dernier chiotte du dernier client... "sur le trottoir".
Il n’en fut rien.
Elle me regardait refermer la porte avec le sourire de ces mannequins qui venaient tout juste de s’empiffrer un rail. Le temps d’un détour vers le frigo qu’elle ouvrait déjà les cuisses avec désinvolture. Je me sentais son photographe d’amant avec une bière en guise d’appareil.
Je ne sais si je l’ai bu... Si tel était le cas ce serait une connerie.
Je me souviens juste de la pénombre qui enveloppait son corps à la manière d’une feuille de "rizzla" le tabac. Je n’osais la brusquer de peur qu’elle déborde encore d’envie car je n’en pouvais plus. Marco m’avait offert trois tournées et moi six comme d’habitude... Je ne serais plus opérationnel.
Je me souviens aussi de ces rayons de soleil agressifs qui transperçaient les rideaux bleus léchant ses seins, leur donnant une allure de fruits inconnus, si délicieux.
Elle m’a regardé, de ce regard qui vous ferait tomber un oiseau du nid, un paille-en-queue de la falaise. Sur le moment, je ne saurais dire si elle me gratifiait de tout son amour ou de sa haine.
Cette impassibilité qui fait que le plus audacieux n’ose dire mot.
Mes nuits sans elle... et les siennes sans moi. Mes soirées sans sexe... et le sien si souvent abandonné. Mes amis qui ne sont pas les siens... et les siens inconnus. Ma famille qu’elle ne connait pas... et la sienne que j’ignore...
Elle me dit qu’ avant moi, les autres... les "autres hommes" souhaitaient ôter le moindre voile qui recouvrait son âme... et je n’ai pas compris...
Elle me dit que ce jour est un "non-jour", un coma, une pause pour que l’on oublie la douleur... et je n’ai pas compris.
Je me sentais bien... vidé... J’avais dégueulé mon trop plein d’alcool et la fumée que je rejetais me dévoilait encore son visage entre la crispation et le plaisir. Toute nue à mes côtés elle était encore toute chaude... c’est le froid de son regard qui me révéla la gravité de la situation.
Le temps d’écraser ma cigarette et je n’étais plus à elle.
Je venais de perdre cette femme... Sans envie ni désir, je me retrouve dans un appartement vide de sentiments même les plus primaires.
Au bistrot Marco me dit que ce soir tout est pour lui...
Et moi je ne trouve aucun goût à cette bière...
"Joe ta bière est dégueulasse"...
Il m’emmerde... Je le savais... et pourtant ce soir cela me touche...
Comme la tournée du patron... comme ce reportage animalier sur les baleines à bosse... Comme cette photo de nous au pied du volcan...
J’avais oublié ce sourire...