Elle gisait en bas de l’escalier, les membres fracassés, pantin désarticulé. Seule une longue traînée de sang à la commissure des lèvres mettait un peu de couleur sur son visage livide. Le commissaire et ses adjoints enjambaient les livres épars qu’elle portait juste avant de tomber, culbute fatale qui venait de lui coûter la vie.
- Qui l’a trouvée ? demanda le commissaire.
- Ce jeune homme, chef, ils avaient rendez-vous chez lui, il habite au rez-de-chaussée. Il se préparait quand il a entendu un grand bruit, il est sorti et l’a trouvée là au pied de l’escalier. Et puis la concierge, Madame Adeline est arrivée, elle nettoyait le palier du second, elle a tout de suite appelé police secours, mais il était trop tard.
Le commissaire s’installa dans la loge pour l’interrogatoire de routine mais son opinion était toute faite. Elle avait du descendre l’escalier trop vite, les bras chargés de livres, elle avait raté une marche et la suite tout le monde la connaissait. Il fit d’abord entrer Adeline.
- Que savez-vous de la victime ?
- Elle s’appelait Isabelle Legrand, elle étudiait l’histoire de l’Art, enfin c’est ce qu’elle disait….
- Pouvez-vous préciser ?
- Ben, vu tous les hommes qui venaient chez elle le soir, je pense qu’elle n’étudiait pas que ça… Le pire Monsieur le commissaire c’est qu’ici c’est une maison respectable, on ne loue les studios qu’à de jeunes étudiants sérieux, Monsieur Legendre le propriétaire est très strict là-dessus. Mais celle-là c’était quelque chose, en plus depuis quelques temps elle essayait même de mettre le grappin sur Monsieur Paul, le petit jeune qui l’a découverte, un jeune homme bien je vous assure, poli, gentil, discret et bien joli garçon…Une garce, Monsieur le commissaire, je vous le dis tout net, une garce !!!
- Eh bien, on peut dire que vous ne pesez pas vos mots, ce sera tout pour le moment, vous pouvez sortir.
Madame Adeline, satisfaite et fière comme un paon d’avoir rempli son devoir de citoyenne, croisa Monsieur Paul. Le jeune homme était si pâle et paraissait si choqué que le commissaire Baron le fit asseoir et lui fit servir un verre d’eau...
- Déclinez votre identité et indiquez moi les liens qui vous unissaient à Mademoiselle Legrand.
- Je m’appelle Paul Marchand, j’ai 24 ans et je suis étudiant en droit. Isabelle, enfin Mademoiselle Marchand et moi étions amis, elle m’aidait dans mes recherches, c’était une fille bien vous savez, je l’aimais beaucoup.
- Je me suis laissé dire qu’elle menait une vie assez...comment dire...assez dissolue !
- Isabelle ? Oh non Monsieur le commissaire, c’est faux...Il ne put finir sa phrase et éclata en sanglots.
Un peu agacé, le commissaire le fit sortir et enchaîna l’audition de tous les habitants de l’immeuble. Vers deux heures du matin, fatigué il se rendit une dernière fois dans le vestibule, avant de faire emmener le corps, il avait observé l’escalier, posé quelques questions au légiste. Rien de bien passionnant ! Les marches usées par les ans, la pile de livres qu’elle transportait et les escarpins aux semelles lisses que portait Isabelle le confortait dans son idée d’accident.
La police venait de partir laissant derrière elle un silence terrible et Adeline réconfortait Paul.
A ce moment-là, Lucie une autre locataire fit irruption dans la maison, elle rentrait tard comme d’habitude. Elle se fit raconter le drame, prit Paul dans ses bras et lui proposa de venir passer la nuit chez elle pour qu’il ne reste pas seul. Paul la suivit et Madame Adeline, dépitée marmonna :
- Toutes des garces, demain, toi aussi tu vas en rater une de marche...et on verra si tu veux encore me le prendre mon Paul.