Le Service de Santé Obligatoire a fêté ses cinq années d’existence la semaine dernière.
Sur toutes les chaînes, les slogans officiels : hygiène et santé, prévention et sécurité.
La couverture atteint 98 % de la population selon les dernières statistiques, et les résultats sont là : le taux de mortalité a chuté de manière vertigineuse, l’espérance de vie a progressé de près de quinze ans.
Je me souviens du système à ses débuts, de ses difficultés à s’imposer. Du point de vue de l’alimentation notamment : il avait été difficile de faire comprendre à soixante millions de personnes qu’elles mangeraient désormais toutes la même chose. Mais en définitive, l’idée n’avait pas tant déplu, les tarifs étant fort raisonnables.
Les résistances concernaient aussi l’obligation de délation. Il s’agissait tout de même de dénoncer ses propres amis, sa famille, si leur alimentation était trop grasse, s’ils fumaient ou se droguaient, signaler tout comportement anti hygiéniste, les buveurs d’alcool, le port de textiles non aseptisés, l’absence de masque respiratoire et bien d’autres.
Les contrôles hebdomadaires obligatoires enfin, les intellectuels les ayant vite qualifiés d’atteintes aux droits de l’homme, mais le peuple avait heureusement compris qu’à partir du moment où l’Etat s’occuperait de la santé de chacun au jour le jour, plus personne ne risquerait rien, tout le monde serait libre.
Le discours martelé par les médias avait fini par porter ses fruits : le premier droit de l’homme c’est la santé, répétait le gouvernement de l’époque, le droit de vivre le plus longtemps possible ! La majorité ne doit pas pâtir des excès d’une infime catégorie de la population !
Les gens intégrèrent le nouveau système plus vite que ne le prédisaient les analystes. Quand il s’agissait de juger le mode de vie du voisin, il y avait toujours des candidats. Gobé, comme tout le reste, comme les dizaines de pilules qu’ils ingéraient chaque jour, les antidépresseurs, les coupe-faim, les calmants...
Et même si beaucoup d’entre eux ne supportaient pas qu’on s’immisce dans leur sexualité, qu’un inspecteur surveille chaque mois la fréquence de leurs rapports et l’identité de leurs partenaires, les statistiques étaient là pour les rassurer. Surtout, le ministère de la santé employait la moitié de la population active, le chômage avait été éradiqué.
Cinq ans plus tard, malgré tout, il y a toujours les réfractaires, ceux qui continuent de penser qu’on doit pouvoir être libre de tout, de sa santé comme du reste. Ceux qui continuent de croire au libre-arbitre, les désaffiliés, dont je fais partie.
Au début j’ai participé, comme tout le monde je croyais sincèrement que la société irait mieux dans ce cadre, mais au fil du temps j’ai compris que les personnes gênantes étaient systématiquement hospitalisées, qu’elles ne ressortaient jamais des hôpitaux, et que le système était un moyen idéal de contrôle des populations... mais pour le bien du peuple.
J’ai eu une aventure avec une désaffiliée, qui m’a balancé lorsque la police sanitaire l’a contrôlée. C’était rigoureusement interdit : ils m’ont radié.
J’ai eu peur les premiers temps, mais en réalité, c’était une libération. Je suis allé vivre à la campagne avec ma fille Lucie.
Loin de la ville, il n’y avait quasiment pas de contrôles, l’air était meilleur, je pouvais enfin manger à ma faim, des produits d’une ferme toute proche, tenue par une coopérative de désaffiliés. Nous vivions en communauté, c’était le bonheur. Lucie grandissait dans les prés, elle était plus belle de jour en jour.
J’avais l’impression que la société nous avait oubliés, et je pensais que ça durerait. Mais il y a un mois, elle est tombée malade.
C’était un gros rhume, rien de plus. Elle n’avait qu’un peu de fièvre au début. Il existe des centaines de médicaments contre ça. Des centaines.