La salle est grande. Vide. Deux rangées de grandes tables sont disposées dans la pièce en longueur et se font face. Au milieu, une autre table. Avec toujours un bazar monstre. Avec des quantités de papiers, avec des diapos. Sur les tables blanches, des grands tabourets au pied unique et rouge. Derrière les tables, d’un coté les volets fermés, coupure de l’extérieur, de l’autre, des ordinateurs. Puis, au fond de la salle, des portes fermées. Des labos photo. Une réserve avec des feuilles en vrac, de la peinture, des matériaux en tout genre. Les deux portes fermées.
Dans cette salle, le dernier ordinateur est allumé. De la musique s’échappe des enceintes disposées à côté d’Elle. La seule source de lumière est l’écran de cet ordinateur, la seule source de bruit est la musique douce qui se répercute dans la vaste salle, et le tapotement des touches qui seules rompent le silence.
Elle est là, seule, face à son écran, à attendre, à écrire, à attendre, à regarder le temps qui passe, à regarder les chiffres indiquant l’heure défiler. Elle ne fait rien qu’écouter le temps s’échapper peu a peu, que regarder la musique défiler de ligne en ligne, de son en son. Puis, un autre son, familier, s’échappe et couvre la musique. Elle lève la tête. Ce son qui se répète toutes les heures, marquant avec une régularité exemplaire la fin et le début des heures. Puis, des bruits. A l’extérieur. Des rires, des paroles échangées. Des échanges. Des bruits de pas. Les pas qui s’éloignent... Puis le silence qui revient, troublé uniquement par cette musique douce qui l’appaise.
La porte s’ouvre. Elle tourne la tête. Une autre entre. "Salut ! Comment tu vas ? Je viens chercher mon projet je le termine chez moi. Bon week end !" Elle n’avait dit aucun mot, ou presque. Elle avait vu cette fille qu’elle connait à peine, cette fille enjouée entrer dans la salle, prendre un objet sur une table et repartir.
Elle n’avait même pas remarqué cette boite inhabituellement placée en ces lieux qu’elle connaissait maintenant parfaitement. Cette boite, souffle de vie qui était à présent partie, cette boite qu’une personne vivante avait emportée, symbole de l’inachèvement, symbole de liberté. Elle-même n’avait aucun projet en cours. Tous achevés ou non commencés. Alors elle restait là, sans pensées, sans actes, sans gestes, sans rien. Et tandis qu’elle restait là, les chiffres mesurant le temps imperturbables défilaient, s’en allaient, alors que le compte à rebours commençait, alors qu’elle savait qu’elle rentrerait bientot chez elle, ce lieu qu’elle connaissait si bien qu’elle aurait pu y évoluer même en étant aveugle.
Et elle était là, attendant, attendant ce moment où elle devrait partir, ce moment où elle devrait tout éteindre, ce moment où elle devrait fermer cette salle à clé, puis rentrer, laissant cette pièce à l’abandon, dans sa solitude, jusqu’au lundi prochain, jusqu’à la première heure de temps libre, jusqu’à la première heure de repas, jusqu’au moment où elle retrouverait cette salle qu’elle quitterait définitivement l’année suivante, celle salle qu’elle laisserait à d’autres mais que personne ne verrait jamais autrement qu’une vulgaire salle, alors qu’émanait d’elle autre chose, comme si elle avait une ame, comme si elle présentait tant de différences. Oui, elle l’aimait cette salle. Oui, elle avait quelque chose de particulier.
Puis, la deuxième sonnerie. La musique cessa, et en quelques clics tout était éteint, tout était remis à l’abandon, à la solitude, à la mort, à l’absence de vie. Après un dernier regard à cette salle qui avait quelque chose de particulier, elle ferma à clé et se dirigea vers la loge afin d’y déposer les clés et de marquer sur le cahier l’heure de fermeture de la grande salle. Alors elle partira de ce lieu, vers le bus qui arriverait en retard, vers cet endroit qu’elle rejoignait tous les jours ou presque. Elle sortit, prit le chemin qu’elle prenait tant de fois, un chemin qu’elle ne prendrait bientot plus. Un chemin qui restera tout de même gravé dans sa mémoire. A jamais.