Las, je suis assis dans le car qui me ramène chez moi.
L’air pensif, écouteurs vissés sur les oreilles, mon baladeur me distille ma dose de Métal pendant que la ville défile lentement devant moi.
Siège dur sous mes fesses, sac calé sur les genoux, je compose le masque rouillé d’indifférence qui me sert d’armure.
Et comme d’habitude, tout le monde se fuit du regard... rien de mieux qu’un bus bondé pour se sentir bien seul.
Au moins je suis au chaud.
Je monte le volume.
Le chanteur hurle son désespoir à m’en vriller les tympans.
Tant mieux.
En l’écoutant lui, je m’écoute moins penser.
Aujourd’hui il pleut.
Sur la vitre sale, les gouttes visqueuses glissent mollement comme des larmes sur le visage torturé d’un lépreux.
Je les regarde... hésiter et hésiter encore sur le chemin à suivre avant de finalement disparaître. Froidement, je remarque leur troublante ressemblance avec ma propre existence qui se traîne de la même façon pathétique sur la toile rugueuse de la Vie.
Le bus, lui, se traîne aussi... la rue est encombrée.
La sirène d’une ambulance me tire de mes pensées...
Au loin un carambolage a provoqué un bouchon.
Sans aucune hâte, ni volonté, nous passons devant la scène du sinistre.
A travers mon écran de verre protecteur, accompagné de chaotiques rifs de guitares électriques pour unique fond sonore, j’enregistre des éclats déformés de souffrance à 10km/heure... De ces vies brisées, il ne reste plus que des corps anonymes au sol, recouverts de plastique doré sur lequel se reflète joliment la lumière des gyrophares.
Les gens détournent les yeux, personne ne veut regarder. Trop tard... le brillant emballage a fait son effet... on se croirait presque dans une vitrine de Noël, lumineuse et décorée.
La pluie s’est arrêtée.
Enfin.
Je descends, blasé.
Soudain, un vieux cabot famélique s’approche de moi, me renifle une jambe puis s’éloigne l’air dépité.