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- Tu dors ?
- Non.
- Je suis bête d’encore le demander ! C’est vrai qu’en vingt et un ans de mariage, jamais tu ne t’es endormie avant moi. Pourquoi en aurait-il été autrement aujourd’hui, je te le demande !
- C’est vrai. Mais toi, tu ne dors pas encore ? Que t’arrive t’il, il est une heure du matin !
- J’ai trop chaud... J’ai toujours du mal à m’endormir quand il fait chaud comme ça, pas toi ? Je trouve que les nuits du mois de juin, comme celle-ci, sont les pires à ce niveau là ! C’est sans doute parce qu’on sort du printemps et qu’on nous plonge direct dans la chaleur estivale. Je suppose qu’en juillet et en août on est habitué m’enfin le mois de juin, c’est pas drôle...
- Moi je le supporte encore bien. C’est parce que je suis une fille du soleil.
- Sans doute. Christelle.. ?
- Oui ?
- On fait l’amour ?
- Non.
- Mais pourquoi ?
- Tu rigoles ? Il est une heure du mat, il fait très chaud donc tu dégages une légère odeur de transpiration qui est loin d’être aguichante, je suis fatiguée et de plus je n’ai pas envie, tout simplement !
- Mais tu m’aimes, non ?
- Les sentiments n’ont rien à voir avec le sexe. Le sexe ce n’est qu’une attirance physique c’est bien ce que tu m’as dit non ?
- Tu veux parler de Julie, c’est ça ?
- Je ne faisais que te remémorer ce que tu m’as dit, rien de plus.
- Mais bien sûr ! C’est tout toi ça ! Ecoute, ça va faire quatre ans maintenant je croyais que l’affaire était classée !
- Elle l’est.
- Et la conclusion était bien que tu me pardonnais il me semble !
- Je t’ai pardonné, mais je n’oublie pas cependant.
- Quand on pardonne quelqu’un on ne lui renvoie pas sans cesse ses fautes à la gueule ! J’ai déjà du te le dire au moins cent trente millions de fois mais je vais le répéter : Julie était une erreur de parcours, un accident isolé ! Comme je l’ai effectivement dit, je n’avais aucun sentiment pour elle, juste un attrait physique. J’ai couché avec elle sur un coup de tête ! C’était con, c’était moche, oui mais je l’ai fait ! Et dès qu’on a eu fini, l’ivresse sexuelle retombée, je me suis rendu compte de ce que j’avais fait. Je me suis rhabillé et je suis parti en courant. J’ai joué franc jeu avec toi ! Je t’ai tout avoué et me suis excusé des milliers de fois et...
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Et je t’ai pardonné. Affaire classée. C’est toi qui la remets sur le tapis. Je voulais juste te dire que ce n’est pas parce que je t’aime que j’ai envie de coucher avec toi a tout moment et dans n’importe quelle condition, point à la ligne.
- Ok, ok oublie ça ! Ton franc parler est sans réplique ! Logique après tout que tu ne veuille pas puisque je transpire en cette chaude soirée de juin et que donc, je pue !
- Heureuse que ton comprenne, mon amour malodorant ! Hihihi !
- Oui c’est ça rigole ! Moque toi seulement !
- Oh, excuse moi si on ne peut plus rigoler...
- Ce n’est pas ça mais ta tendance à rire de tout est l’une des rares petites choses que je supporte difficilement chez toi !
- Et bien tu sais quoi, moi c’est ton machisme que je ne supporte pas.
- Moi ? Macho ? Tu veux rire ! Non, je ne suis pas macho mais il existe certaines différences notoires entre les femmes et les hommes et il faut bien s’en rendre compte. Dame Nature nous a conçu différents, chacun avec ses talents et ses faiblesses c’est un fait indéniable !
- Donc quand tu dis « jamais les femmes ne sauront conduire ! » c’est la faute à Dame Nature alors, c’est ça ?
- Non, ça c’est scientifique !
- Scientifique ?
- Ben oui... Fais les comptes toi-même ! En vingt et un ans je n’ai pas fait la moindre griffe sur une de nos voitures alors que toi tu as sur la conscience l’envoi à la casse prématuré de pas moins de trois voitures, dont une Land Rover !
- Ce gros quatre fois quatre était pire qu’un tank à manœuvrer ! Il était lourd, pas maniable et bruyant !
- Oui mais c’était mon quatre fois quatre ! Et il a tout de même rejoint le cimetière des voitures à l’age record et avancé d’un an et demi !
- J’ai eu un petit souci de route voilà tout ! Ca arrive à tout le monde.
- Un petit souci ? Mais comment t’as pu mettre en sinistre total une Land Rover ! Cette bagnole était tellement énorme que j’ai du fixer un marche pied pour que tu puisse grimper dedans !
- Ben comme je te l’ai dit, le frein à main était très dur et un jour je suis descendue et je ne l’ai pas serré assez fort, la rue était en pente et au bout de la rue il y avait...
- Ca va, ça va ! N’achève pas ! Le souvenir de cette journée où j’ai vu la dépanneuse sortir ma Land Rover du canal est encore très net, merci !
- N’empêche que moi je ne compterais que deux voitures pliées parce que pour la petite Opel je n’étais pas en tort.
- Oui mais tu t’es rattrapée avec la Chrysler ! Quel carton ! Après ça, mon assureur m’a dit qu’une Omnium c’était pas assez complet que pour parer à ma redoutable épouse !
- Reconnais que ça va mieux, ça fait déjà six ans qu’on à la citroën.
- Tu remarques que ça fait quatre ans que tu as changé de job et que, aujourd’hui, tu te rends au boulot en train, ça limite quand même pas mal les risques !
- T’es vraiment injuste !
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- Cela dit, je salue l’effort pour les deux premières années !
- Dors va, tu me fatigues !
- Alors pourquoi tu ne dors pas ? Pourquoi ne t’ai-je jamais vue t’endormir avant moi, en vingt et un ans de vie commune !
- Parce que tu détiens le record de « l’home qui s’endort le plus vite au monde ».
- Peut-être bien mais j’ai des journées harassantes... Note que tu n’en as jamais souffert ! Je prends toujours le temps de te faire ton petit câlin, je puise dans mes réserves d’énergie pour toi tu sais !
- Mais oui !
- Je t’assure ! C’est pas une belle preuve d’amour ça ?
- Une autre serait de te rendre compte qu’a une heure et demi du matin, j’ai envie de dormir alors dors s’il te plait !
- Mais je n’y arrive pas ! Puis j’ai chaud.
- Je sais mais la fenêtre est grande ouverte, la couette est roulée en boule au fond du lit et tu est vêtu en tout et pour tout de ton slip. Que veux-tu faire de plus ?
- Sais pas. Je boirais bien quelque chose de frais...
- Tu trouveras la cuisine ?
- Puis c’est moi qui suis macho ! Alors que tu sous-entends clairement que je ne suis qu’un homme minable qui ne connaît que les rudiments de sa maison (salon-chambre-toilette) et qui ne met jamais un pied en cuisine !
- Je te taquine ! Désolée...
- Je te pardonne mais à une condition !
- Ah oui ? Laquelle ?
- Tu vas chercher un grand verre d’eau fraîche avec glaçon à ton mari que tu aimes !
- Quoi ?
- Oh, sois gentille, s’il te plait !
- Après tu dormiras ?
- Promis !
- C’est bon... Je reviens tout de suite.
- Merci mon amour, tu es un ange, si, si !
- Mouais...Allez, à tout de suite.
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2
- Mmmmmh ! Cette eau m’a fait un bien fou ! Je sens que je vais dormir comme un loir !
- Tant mieux mon chéri parce qu’il est déjà deux heures ! Bonne nuit.
- Tu n’oublies rien ?
- Pardon ?
- Mon bisou...
- Tu es incorrigible ! Allez, approche.
- Mmmh... Merci ! Sans mon bisou je ne sais pas dormir...
- Comme les gosses !
- En parlant de gosse, j’espère que Jérémy va bien.
- Tu sais à une soirée entre amis il ne risque pas grand-chose. Et puis il à dix sept ans, ce n’est plus un enfant !
- Dix sept ans déjà ! C’est l’age où on s’est rencontré...Qui sait, il va peut-être trouver sa future petite plieuse de voitures à lui à la soirée !
- Pourquoi pas.
- Moi avec mes parents les soirées je pouvais oublier...C’était une autre époque ! Si bien que finalement, ma première soirée c’était le bal de fin d’année, au collège tu te souviens ?
- Bien sûr !
- On avait dix huit ans, pleins de projets et on sortait déjà ensembles à l’époque.
- Oui.
- Quelle soirée mes aïeux ! Ola la ! Je m’en souviens très bien. Je n’ai pas arrêté de t’embrasser, de danser et de boire ! Oh mon Dieu oui j’ai bu, quelle cuite !
- Oui, je me souviens t’avoir cherché partout pendant plus d’une heure pour finalement te retrouver aux toilettes en train de vomir !
- Oui, ha ha ! C’est vrai j’avoue !
- C’est Justine et moi qui avions décoré la salle. On avait accroché, des dizaines de lampions et fleurit les tables. On avait même une boule à facettes que le grand frère de Steve nous avait prêtée.
- Juste ! Et Martin aux lumières, Gilles à la sono ! Quelle soirée... Il y avait qui encore ? Marie, Richard, Clémentine, Carine, Sophie, Laurent,...
- Eric était venu nous saluer puis Michel aussi !
- Michel ? Le petit brun qui te courait derrière ? Il est venu ?
- Oui, il est passé avec Eric. On a même un peu parlé.
- Et de quoi s’il te plait ? J’ignorais qu’il s’accrochait encore à toi à ce moment là...Puis d’abord j’étais où moi pendant ce temps là ?
- Sans doute en train de cuver je suppose !
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- Oui, bon, bref ! Il te voulait quoi le nain ?
- Figure toi qu’il m’avait à peine aperçue qu’il s’est jeté à genoux devant moi pour me faire sa trente sixième déclaration ! J’étais affreusement gênée, mais c’était touchant !
- Tu l’as envoyer décorer d’autres jardins je suppose ?
- Oui mais il a tout de même eut le temps de me voler un baiser, je dois l’admettre...
- Plaît-il ?
- Je ne l’ai pas vu venir...
- Tu plaisantes là ?
- Ben, non...
- Quoi ? Il t’a embrassée ? Et tu l’as laissé faire !
- Non, je ne l’ai pas laissé faire je l’ai repoussé tout de suite mais il avait eu le temps de poser ses lèvres sur les miennes, voilà.
- Ben mince alors !
- Tu ne vas pas me faire une scène pour un petit bisou égaré que je ne voulais même pas ?
- Non, bien sûr...
- Tant mieux, j’ai eu peur.
- Par contre le fait que tu ne me l’aies pas dit est impardonnable !
- Pardon ?
- Oui ! C’est scandaleux que tu me le dises après vingt cinq ans !
- Allons, il y a prescription ! Puis ce n’était pas bien méchant...
- Non je regrette je ne suis pas d’accord !
- Tu peux bien te la ramener avec ta Julie toi hein ! Tu es le mari de l’année sans doute !
- Non mais moi au moins je te l’ai dis tout de suite !
- Oh, bonheur ! C’est trop gentil !
- Bon, très bien ! Si tu le prends comme ça...
- Qu’est-ce que tu fais ? Où vas-tu ?
- Je vais dormir dans la chambre de Jérémy ! Je ne partagerai pas la couche d’une fieffée menteuse !
- Je n’arrive pas à le croire ! En direct de la maison tordu, papa tordu fait une scène à maman tordue pour un minable baiser d’ados de trois secondes vieux de vingt cinq ans et le tout à : tadaaam ! Deux heures vingt six du matin ! Jolie performance...
- Bonne nuit ! J’y vais.
- Ne réveille pas Gaëlle avec tes conneries ! Elle est en examens.
- J’espère qu’elle n’a pas la mémoire sélective de sa mère ça pourrait lui jouer des tours quand elle sera devant ses questions !
- Espèce de...
- Sur ce je te laisse, je vais me reposer. Réfléchis à tes actes passés, histoire de voir si tu n’aurais pas omis de me dire autre chose. Pendant ce temps, je vais dormir du sommeil du juste !
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3
- C’est quoi encore ce bruit ? Jean-Lou ? C’est toi qui fais grincer la porte ?
- Merde !
- Mais qu’est-ce que tu fabriques bon sang ?
- J’essayais d’entrer sans faire de bruit...
- Raté !
- C’est pas ma faute si les gonds de cette foutue porte croise une burette d’huile toutes les cinquante six lunes !
- Ben... Tu t’attendais quand même pas à ce que ce soit une faible femme comme moi qui le fasse ?
- Non mais comme généralement tu te plains lorsque quelque chose t’ennuie et que, dans le cas de la porte, c’était silence radio je pensais pas que ça te gênait !
- Dis moi, tu ne dormais pas dans la chambre de Jérémy toi ? Ou alors ça y est tu es calmé ?
- Je ne t’ai pas encore pardonnée si c’est ça que tu veux savoir ! Non si je suis revenu c’est parce que j’ai eu une révélation...
- Ah, vraiment ! Puis-je en connaître la teneur ?
- Nous sommes des parents indignes !
- C’est quoi encore que ces conneries ? Tu te payes une crise de conscience à trois heures du mat parce que tu as raté le dernier match de foot de Jérémy ? Tu sais il s’en remettra !
- Non ce n’est pas ça mais j’étais là, étendu sur le lit de Jérémy, les yeux grands ouverts et lorsque j’ai voulu me tourner un peu sur le côté parce que je n’étais pas installé de manière très confortable je me suis aperçu de quelque chose...
- Mets fin à ce mystère, par pitié, je n’y tiens plus !
- Chérie, le matelas de notre fils est dur, peu importe la position qu’on adopte dessus, on n’y est jamais bien ! Je n’ai passé qu’une demi-heure dessus et j’ai déjà l’impression que mon dos est coulé dans une chape de béton toute droite ! Or ce pauvre gosse dort dessus depuis au moins six ans ! C’est un scandale !
- Peut-être mais lui au moins, il dort !
- Je me demande comment il parvient à trouver le sommeil sur la plaque de granite qui lui sert de lit... L’épuisement peut-être...
- On lui demandera demain, promis et je te promets aussi de foncer dès ce week-end chez Ikea pour lui acheter le matelas le plus moelleux du monde ! Là, tu es content ? Mais pour cette nuit, sois rassuré, il dort chez Michaël donc tout ira bien pour lui ! Est-ce que ça te va ? On peut dormir maintenant, ta conscience est apaisée ?
- Et la tienne ?
- Pardon ?
- Ben oui, le bisou... Tu t’excuses ou pas ?
- Si tu la ramène encore une fois avec ça je te jure que c’est par le meurtre sauvage de mon mari durant une interminable nuit de juin que ma conscience sera inquiétée et pas par un ridicule petit baiser imprévu !
- Et moi dans tout ça ? Je te signale que maintenant je dois vivre avec l’image de ma femme embrassant un nain de jardin lors de mon premier bal !
- Ben comme ça tu auras au moins un souvenir de cette soirée là, ce qui est vraiment pas mal vu l’état dans lequel tu es rentré ! Tu devrais me remercier !
- Compte dessus !
- Dès que j’aurai fini les moutons je commence !
- Pardon ?
- Ca veut dire que je voudrais bien DORMIR !
- Ah ! Bon. Oui, bien sûr, pas la peine de t’énerver... Bon je veux bien oublier cette histoire pour le moment mais à une condition.
- Quoi encore ?
- Fais moi un peu de place ne m’oblige pas à retourner dans le lit de Jérémy !
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4
- J’ai changé d’avis.
- Mfff... Quoi ?
- Finalement, je pense que nous sommes de bons parents.
- Bordel il est pas vrai lui ! Jean-Louis Picard, il est 4 heures dix-neuf du matin ! Est-ce que par hasard tu aurais décidé de te lancer dans un marathon nocturne ayant pour thème « je me remets en question » auquel cas, matelas dur ou pas, je te jure que tu finiras la nuit dans le lit de Jérémy ou bien ta réflexion touche-t-elle à sa fin avec cette conclusion heureuse sur notre métier de parents auquel cas j’ai un espoir de totaliser un bon trois heures de sommeil avant de me lever pour le boulot ?
- Oh ça va hein ! Excuse moi de me tracasser sur mon rôle de père !
- Ecoute, nos deux enfants sont heureux, épanouis, bien nourris, ils réussissent bien à l’école et ils ont plein de copains alors que pourraient-ils vouloir de plus ?
- Un matelas mou ?
- ...
- Je plaisantais. Non, comme je te le disais, je trouve que nous sommes de bons parents.
- Merci, je trouve aussi. Bonne nuit !
- Héééééééé ! J’ai pas fini !
- J’aurai essayé...
- Je vais finir par croire que ça ne t’intéresse pas !
- Et tu aurais peut-être bien raison !
- Réflexion faite, nous ne sommes pas de bons parents, je suis juste un bon père !
- Fais tout de même attention à ce que tu dis, mon vieux !
- Ah ! Tu vois que ça t’intéresse !
- Je ne dis pas le contraire seulement il y a un temps pour tout ! De même qu’on ne mange pas de raclette au petit déjeuner et qu’on ne joue pas à la crapette rapide pendant un enterrement, j’estime que 4 heures dix-neuf du matin n’est pas une heure pour discuter de l’éducation de ses enfants, d’autant plus lorsqu’elle va bien !
- Oui mais moi ça m’inquiétait cette histoire de matelas ! Alors j’ai cherché des exemples de bonnes choses qu’on a apportées aux gamins, pour compenser quoi !
- Et tu as trouvé ?
- Oui !
- Génial ! Bonne nuit.
- Regarde : par exemple, Jérémy a toujours été passionné de foot. Depuis qu’il est tout petit, il en fait. Et bien comme si ça ne suffisait pas, tu te rappelles ce qu’on lui a acheté pour sa Saint-Nicolas quand il avait sept ans ? Un kicker ! Il y a tellement joué que maintenant, quand il va avec ses copains dans ce club là où il y a un billard et un baby-foot, il met la raclée à tout le monde ! Et bien les moments de fierté qu’il en retire, c’est grâce à nous ! Et Gaëlle ! On lui a payé des cours de danse hors de prix et aujourd’hui, elle a une telle grâce dans chacun de ses gestes ! Ca lui donne une classe, une distinction que tous n’ont pas. Et puis toi... Quand les gamins étaient malades, tu ne savais pas t’empêcher de leur ramener un petit jouet quand tu faisais les courses. Du coup, ils associaient la venue du médecin à l’arrivée imminente d’un cadeau, résultat : quand ils sont allés à la visite médicale en première primaire, c’était les seuls à pas chialer comme des veaux lorsque le docteur les a ausculté !
- Oui... Je me souviens encore de la tête du prof lorsqu’on est venu rechercher Jérémy ce jour là ! Il en était tout retourné ! « Votre enfant était si sage, je n’en reviens pas ! » Qu’il disait !
- Oui mais le plus drôle c’était avec Gaëlle deux ans après ! Il me semble qu’il nous a demandé notre recette cette fois là ou quelque chose du genre...
- Oui tu as raison !
- Non vraiment je suis rassuré : nous sommes de bons parents, nos gamins ont de la chance.
- Oui, je trouve aussi.
- C’est vrai on les garde à l’abri de nombreux soucis puisque nous sommes justes et attentifs, présents sans être envahissants et permissifs sans être laxistes : le bon équilibre quoi !
- Oui, oui nous sommes formidables mais tu sais parents, c’est épuisant comme boulot alors si on dormait ?
- Oui pardon. Je me tais, je me tais.
- Merci ! Bonne nuit.
- Bonne nuit.
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5
- Mon amour ?
- Quoi encore ?
- Je voulais juste encore te dire combien je t’admire, tu es une mère épatante alors que ça n’a pas toujours été facile pour toi.
- Hein ? Merci mais qu’est-ce que tu sous-entends ?
- Ben toi tu as grandi avec une mère alcoolique alors tu n’as pas eu la chance de ...
- Alors là c’est le pompon ! C’est tout toi ça ! Tu glisses un compliment puis paf ! Derrière ça ne loupe pas, une rosserie !
- Mais non mais avoue que ta mère n’est pas l’exemple parfait de la maman modèle !
- Je ne suis vraiment pas d’humeur à m’engueuler avec toi sur ma mère alors qu’il ne me reste que deux heures et demie pour me reposer un petit peu alors je te répondrai simplement que ma mère n’est peut-être pas parfaite mais que ce n’est pas une alcoolique !
- Faut quand même reconnaître qu’elle a la descente facile !
- Tu n’est pas le dernier à lever le coude non plus je te signale !
- Moi c’est pas pareil, je tiens l’alcool ! Alors que ta mère à chaque Noël elle me casse un verre !
- Je te signale quand même que cette année nous avons fêter Noël chez elle et que donc elle ne t’a rien cassé !
- T’inquiètes pas je risque pas d’oublier ce Noël ! Elle était déjà pompette quand on est arrivé pour l’apéro ! « J’vous ai préparé une sauce au vin » qu’elle a dit ! Moi je croisais les doigts pour qu’elle nous en ait laissé un peu !
- Tu es injuste c’était délicieux elle s’était donné beaucoup de mal et elle était ravie de nous recevoir !
- C’est vrai que c’était bon. Par contre là où on a beaucoup rit avec les gamins c’est pour la déco !
- La déco ?
- Oui son sapin semblait tellement vert qu’on s’est demandé si elle avait mis des boules. Finalement on s’est lancé dans le grand jeu du comptage des boules et le verdict est tombé : huit boules. Pour un sapin de un mètre quarante !
- Je te rappelle qu’elle vit seule et qu’elle a son age. Ce n’est pas simple pour elle !
- Je sais mais alors il y a plus simple : l’année prochaine, elle n’a qu’a demander qu’on ne retire pas les pommes de pin comme ça, le sapin aura l’air décoré !
- Tu es méchant !
- Non mais je t’avoue que le peu de déco m’a surpris, venant de ta mère.
- Elle n’a jamais été dans le tape-à-l’œil ou l’exubérant !
- Non mais elle ne m’avait pas non plus habitué à tant de... Sobriété !
- T’es vraiment une ordure quand tu veux !
- Excuse moi. Mais moi j’associe toujours ta mère au début de notre relation. Elle ne nous a pas facilité les choses et moi ça me reste en travers de la gorge !
- Ecoute, je suis fille unique et ma mère avait peur pour moi. Tu sais que mon père était loin d’être le mari idéal ! Ma mère n’a pas eu une vie sentimentale épanouie.
- C’est pas une raison pour bousiller la mienne !
- Je sais mais mon père était un coureur de jupon invétéré. Tant et si bien que ma mère avait rayé le mot « mariage » de son vocabulaire pour le remplacer par « bail à cornes » !
- Mais elle qui est super catho, elle le considère toujours comme un sacrement ?
- Oui, dans sa liste des préférences il arrive bon dernier, juste après l’Extrême Onction !
- Note que, quand j’y réfléchis, c’est à ta mère que je dois quelques-uns de mes câlins les plus torrides !
- Là je ne te suis pas ! Qu’est-ce que tu as fait à ma mère ?
- Oula non ! Pas dans ce sens là, détrompe-toi !
- Explique-toi alors !
- Et bien vu que ta mère était super méfiante, moi je me souviens très bien des petits câlins passionnés qu’on s’échangeait cachés dans la vieille grange dans le fond de ta propriété. On se faisait tout discrets, on essayait de ne pas faire de bruit, de ne pas crier trop fort car elle pouvait nous surprendre n’importe quand ! C’était grisant ! Elle pouvait aussi bien repriser des chaussettes à l’étage auquel cas nous étions à l’abri mais si par hasard elle allait arroser ses tomates...
- Il fallait se rhabiller très vite en se promettant de finir la prochaine fois !
- On n’avait que le temps que l’arrosoir se remplisse pour s’habiller ! Heureusement que le vieux robinet extérieur faisait un bruit épouvantable sinon...
- Oui si elle nous avait surpris, je n’ose pas imaginer ce qu’elle nous aurait fait !
- On servirait probablement d’engrais pour ces tomates à l’heure qu’il est.
- C’est probable en effet !
- Bon Dieu c’était des moments merveilleux ceux là ! Pour ça, je remercie ta charmant maman !
- Ah tu vois !
- Rien que d’en parler ça m’émoustille...
- Jean-Lou...
- Oh ne joue pas ta prude ! Je suis sur que toi aussi ! Ca ne te rappelle rien si je pose ma main sur ta cuisse là, comme ça ? Et si je la remonte lentement, en jetant des regards furtifs derrière mon épaule, pour guetter ta mère ?
- Allons il est presque 6 heures du matin...
- Et alors ? Je suis déjà en slip et toi en nuisette ! Laisse toi aller, ferme les yeux et laisse moi te guider ! Je veux retourner dans la grange avec toi ! Je t’aime...
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6
Et cette nuit là, juste pour une heure, Jean-Louis Picard et Christelle Roche retournèrent dans une grange qu’ils n’avaient plus vue depuis presque quinze ans. Guettant le bruit d’un arrosoir en luttant pour ne pas s’abandonner tout à fait, ils sentaient l’odeur du foin sec et la rugosité du sol de terre. Dans le jardin, les tomates se balançaient paresseusement sur leur plan et les oiseaux, complices, semblaient vouloir chanter plus fort pour couvrir les soupirs qui échappaient aux deux amants. Précaution bien inutile puisque, au premier étage de la maison, une mère folle d’amour pour sa fille avait vu une nouvelle fois les deux jeunes gens entrer main dans la main dans sa grange et ce malgré toutes leurs tentatives pour être discrets. Elle maîtrisait son inquiétude par un effort surhumain, en priant le Seigneur pour que cet homme là rende sa fille plus heureuse qu’elle ne l’avait été elle. Elle regardait sa vielle horloge. Dans dix minutes, elle descendra. Elle prendra l’arrosoir dans la remise mais ne le remplira ni à la cuisine ni même au garage pourtant juste à côté du petit abri. Non, elle ira le remplir au robinet extérieur. L’eau qui en sort n’est plus très nette mais ce vieux robinet de fonte est extrêmement bruyant. Les tourtereaux auront alors trois minutes pour se rhabiller... Trois minutes décomptées par cette clepsydre insolite, trois minutes pour tenter vainement de cacher un bonheur qui de toute façon rayonne sur leurs visages. La mère de Christelle sourit en regardant l’eau qui s’écoule, elle espère seulement qu’elle fait le bon choix pour sa fille.
Pour Jean-Louis et Christelle, les souvenirs avaient ramené avec eux la vigueur de la jeunesse et ce câlin qui ne s’acheva que peu avant sept heures fut l’un des plus mémorable de leur vie...
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7
- Il est bientôt sept heures et tu es enfin endormi mon amour ! Merci pour ce voyage dans le passé. Pour te remercier je vais te dire pourquoi je m’endors toujours après toi. La réponse est là, devant moi. Tu respires régulièrement, doucement, la tête sur ma poitrine. Tu sembles si calme, si bien. Et moi, je te regarde en passant ma main dans tes cheveux en veillant sur ton sommeil. J’ai besoin de ça. C’est ma façon à moi de prendre soin de toi, toi qui prends si bien soin de nous tous. C’est vrai, tu n’es pas parfait. Tu es un incorrigible macho, tu peux être odieux, tu m’as même trompée ! Mais voilà, tu es aussi ce jeune homme rougissant qui m’embrassait doucement dans le coup, tu es le père de mes enfants, tu es celui qui m’a demandée en mariage devant vingt-cinq personnes sur un bateau mouche, tu es celui qui me fait rire aux larmes, celui qui me touche par ses attentions, celui qui me fait vibrer de plaisir, celui en qui je puise la force de me lever tous les matins et aux côtés de qui je me sens capable de tout affronter, celui pour qui je souris et me fais belle. Tu veilles sur moi, sur Jérémy et sur Gaëlle. Tu assumes beaucoup de choses tant au niveau financier qu’affectif. Tu es un père exemplaire et un mari formidable. Alors moi, pour justifier toute cette attention que tu as pour moi, j’ai décidé que si tu veillais sur mes jours, moi je veillerais sur tes nuits. Voilà pourquoi je ne peux trouver le sommeil avant que toi tu ne sois endormi.
- Christelle...
- Tu... Tu ne dormais pas ?
- Non. Et j’en suis ravi. Mon amour, c’est la plus belle chose qu’on m’ait dite et je ne suis pas sûr de la mériter. Je peux être tellement injuste avec toi...
- Mais non ! Je ne suis pas facile à vivre non plus !
- Ne dis pas de sottises, tu es merveilleuse Christelle !
Epilogue
Bonjour ! Il est sept heures trente ! Nous sommes le quatorze juin et le soleil brille ! Nous espérons que tous nos auditeurs ont passés une nuit reposante et que tous sont ressourcés pour affronter cette nouvelle journée ! Mais rejoignons tout de suite Henri Fischer pour l’info trafic !
- Bonjour, mon cœur !
- Bonjour...
- Tu as bien dormi ?
- Amusant !
- Je t’aime, Christelle.
- Moi aussi, je vous aime, monsieur Jean-Louis Picard !
23-12-05