Lyssia veille sa précieuse boîte d’ébène, jour après jour, heure après heure. Sereine, elle n’ose l’ouvrir imaginant que ce n’est pas la peine. Entrouverte, elle n’apporterait rien de plus qu’à l’instant présent. Le cœur qui repose à l’intérieur sommeille, aujourd’hui encore, et la vie semble prendre un pas nouveau. Un regard posé sur la boîte noire et le rouge qui s’en échappe. Lyssia s’approche d’elle, et sans l’ouvrir l’observe. Elle l’effleure des doigts qui prennent cette même teinte et tremblent. Le long filet de sang s’échappe de la boîte sans qu’elle ne puisse l’en empêcher. Il coule à flot, malgré la fermeture de cette boîte dangereuse. Son cœur saigne.
Lyssia m’appelle. Aucune réponse. Elle me cherche avidement, elle cherche des réponses qu’elle ne trouve pas, elle voudrait entendre un souffle qui la guiderait vers la lumière, un son qui la guiderait jusqu’à moi. Un miroir est posé à terre, à côté de moi, plus morte que vive, immobile sur le sol. Lyssia me prend dans ses bras et cherche mon regard que je ne peux que fuir.
"Qu’as-tu fait ?"
Pas un regard. Pas un son. Pas un geste. Juste cette immobilité fievreuse et ce teint livide qui indique cette douleur intense que j’intériorise. Juste cette peine qui ne se guérit pas, et cette force qui s’en est allée. Lyssia prend le miroir, et s’y regarde. Son reflet lui apparait. Son regard. Normal. Elle m’allonge sur un lit qui était là, et je suis toujours blanche, comme vidée de sang. Elle ne parle plus. Elle ne cherche pas à savoir. Elle saura, en temps voulu. Elle reste à mes côtés, ce soir, et cette nuit passée les yeux ouverts, trop faible pour bouger, mais trop forte pour oublier de respirer. Cette nuit où si peu de sommeil me permet de reprendre des couleurs, cette nuit où le peu de temps passé à dormir fut ponctué des mêmes scènes qui m’éveillent sans fin. Cette peur même de fermer les yeux pour ne plus voir ces images, pour ne plus avoir l’impression que tout cela continue. Et enfin, ce désir de dormir pour oublier, pour penser à nouveau, pour me reposer. Mais je ne le peux plus.
Je me tourne vers elle, et son regard est le reflet du mien. Sans avoir besoin, elle sait. Elle sait toujours ce qui se passe, car elle est moi. La confrontation au regard était trop douloureuse et moi, Lyssia, ma pire ennemie, je n’ai pas supporté mon propre regard qui faisait écho à mes pensées. Les larmes ne viendront pas, car seul un cœur peut pleurer. Or je n’en ai plus. Les larmes ne viendront pas, car seule un âme peut pleurer. Or elle s’en est allée. Je voudrais prendre son visage et l’approcher du mien, lire dans ses yeux et m’apercevoir qu’il n’y a pas que de la haine, mais ce que j’y verrais serait bien pire. Il y aurait de l’inquiétude, il y aurait bien plus de peine et de douleur que de mépris et de dégout. Lyssia, mon reflet, toi qui sais qui je suis, toi qui sais ce que j’ai fait, tu ne me pardonnes pas plus que moi. J’aimerais chercher du réconfort en toi, qui ne me laissera pas, mais je sais que je ne le trouverai pas. Lyssia, je suis seule ce matin, je suis seule pour demain, je suis seule et sans cœur, je suis seule et sans âme.
Elle me tend la petite boîte en ébène, tachée de sang, et je l’ouvre à nouveau. Je savais déjà ce que j’allais y trouver. Il ne bat plus, ce cœur qui est mort. Il ne devait plus battre, car il ne le méritait pas. Lyssia, tu sais pourquoi je suis mal, tu sais pourquoi je ne peux plus même respirer, tu sais pourquoi ce regard dévoile tant de choses contradictoires...
Lyssia, tu sais qui je suis, toi.