Tu te rappelles, à Paris ?
On sortait tous les dimanches après-midi prendre un café au bistro d’en face, juste pour jaser, mon genou contre le tien bien serré.
On parlait de tout. De toi. De moi. Du monde. De la vie. De l’amour. On était si bien.
Tu te rappelles ? Le ciel était presque toujours gris, mais nous n’en avions que faire. Tes yeux ne voyaient que les miens rivés aux tiens. Ah ! C’était le bon temps ! Dis que tu te rappelles !
Tu te souviens aussi, après le café, qu’on avait laissé refroidir, tu prenais ma main et tu embrassais chacun de mes doigts comme s’ils étaient de précieux joyaux. À ce moment-là, je t’aimais. Je riais et je t’aimais. Tellement !
Et puis, d’un sourire entendu, on se levait et on partait en courant, sans payer l’addition. C’était le premier qui arriverait à l’appartement. On courrait comme des fous entre les voitures qui nous klaxonnaient. La porte n’était pas ouverte qu’on était déjà dans les bras l’un de l’autre, assoiffé d’amour.
Rentrez chez vous, espèces de cochons !, nous lançait chaque fois la vieille concierge. On faisait exprès pour la faire damner.
Ah ! C’était si fou avec toi !
Et puis, à grand fou-rire, tu me soulevais dans tes bras pour franchir la porte. D’ailleurs, je ne crois pas avoir jamais franchi la porte autrement. Non. Jamais. Dans tes bras, que dans tes bras.
Et là, tu me déposais toujours en plein centre du corridor, aux yeux d’une Joconde complice. Hum ? T’aurait-elle connu avant moi ?
Non, très chère dame. Quelle femme ne voudrait pas que sa beauté soit comparée à celle de Mona Lisa ?, déclamais-tu en reculant de quelque pas.
Et, après m’avoir contemplée de loin, tu te rappelles ce que tu faisais chaque fois ? Oui, oui, chaque fois !
Tu prenais un air macho. Faut dire que ce n’était pas trop difficile pour toi ! Si. Admets ! N’essaie pas de t’en sortir. Tu oublies qui je suis. Et alors, tu avançais vers moi, lentement, droit, fort, terriblement viril.
À tous coups, je perdais la tête.
Et là, ton corps frôlant timidement le mien, ta main venait caresser mon visage qui s’abandonnait jusqu’à se fondre au tien dans une danse lascive, troublante, dévorante, trop.
Tu te rappelles comment ça t’allumait quand je t’empoignais par la crinière pour stopper tes ardeurs d’étalon.. Le désir nous foudroyait. La passion nous submergeait. Agrippés un à l’autre, enivrés, on baisait comme des bêtes affamées.
Oui. Nous étions fous. Fous d’amour.
On faisait l’amour toute la journée. Toute la soirée. Toute la nuit.
Tu te rappelles quand on se pinçait à tour de rôle, histoire de s’assurer qu’on ne rêvait pas ? On ne mangeait pas beaucoup, non plus. Seul le corps de l’autre venait à bout de notre faim.
On s’aimait. Comme on s’aimait !
Je sais. C’était fou comment on s’aimait. Mais on s’aimait d’un amour exceptionnel, un amour que bien peu de gens connaîtront. Et ça, on le savait.
Tu te rappelles ce dernier dimanche à Paris ?
Nos corps enlacés, enchaînés, presque soudés, vidés par trop d’extase, tu as pris ma main que tu as portée sur ton cœur. Tu m’as dit :
Amour, je pourrais mourir là, maintenant, dans tes bras. Avec toi, j’ai tout vécu ce qu’il est possible de vivre sur cette terre. Je mourrais, aujourd’hui, sans regret, sauf celui de partir sans toi.
J’éprouvais la même chose que toi. Mourir dans tes bras n’aurait pas été une punition.
Nous n’étions qu’un seul corps, qu’une seule et âme, toi et moi.
Tu te rappelles comment nos cœurs battaient toujours à l’unisson ? Comment mon corps se moulait au tien ? Aucun coin qui pique, qui cogne, qui gratte. Un moulage parfait. Presque une œuvre d’art. Extraordinaire.
Ah ! tant de souvenirs ; de parfums, surtout le tien ; tant de choses qui me rappellent que...
Tu n’es plus là.
Parti. Envolé. Envolé le rêve d’une vie, d’une mort, avec toi.
Comment peut-on s’aimer autant, puis cesser du jour au lendemain ? Tout à coup, mourir nous fait horreur.
Non. Ce n’est pas parce que je n’ai pas essayé. Crois-moi ! Mais je n’y arrive pas. Je ne comprends pas. Je ne te comprends pas.
Pire, tu rappliques des années plus tard.
Allo ! By the way (ça, ça vient de moi, j’ai pas pu m’en empêcher...), je voulais juste te dire que j’ai réalisé que tu étais la femme de ma vie.
Aye ! bonhomme ! Parles pour toi. J’en ai rien à cirer de toi ! Va te faire foutre !
Voilà, c’est tout dit. Presque.
Car ce que je ne te dis pas, c’est que je me languis, nuits et jours, de ces dimanches à Paris, où grisés nous nous aimions jusqu’à ne plus pouvoir se tenir debout, jusqu’à l’extase, jusqu’à mourir.
Tu te rappelles, dis ?
Non, ne me dis pas que tu te rappelles. Non, s’il te plaît ! Car s’il fallait que tu te rappelles, j’en mourrais. Oui, j’en mourrais, c’est certain.