Ce gars, moi, je l’ai rencontré dans une agence pour l’emploi. Je l’avais vu plus d’une fois et on avait fini par sympathiser. Malgré ses réticences pour parler de lui, il s’était progressivement confié à moi autour d’un café pour me raconter son histoire. Je l’ai revu de temps en temps, jusqu’en décembre dernier, et il allait beaucoup mieux.
Cet homme, c’est un gars de la campagne, un homme courageux et sympa avec tout le monde. Il travaillait avec sa femme dans un petit commerce. Après le divorce et la fermeture de la boutique, il a dû quitter le domicile familial pour trouver un logement mais aussi un nouveau travail. Dans sa situation, il lui était difficile de trouver à se reloger sur place. Il est alors parti à la ville, le chef-lieu de canton le plus proche puis dans la capitale de son département. Il ne pouvait pas être exigeant et les circonstances étaient contre lui.
Pour éviter à tout pris d’être à la rue après plusieurs refus, il a accepté un logement en colocation, au rez de chaussée, dans un ancien garage aménagé en chambre. Il était soulagé de l’avoir trouvé ce logement. Il allait pouvoir être digne et propre sur lui pour trouver un travail mais surtout il allait pouvoir passer enfin un après-midi avec sa fille.
Il ne savait pas alors que son logement était insalubre, mangée par l’humidité et au contact direct des bruits de la pluie, des voitures et des cries dans la rue. Sans oublier un chauffage collectif faiblard et une chaudière souvent en panne alors que le propriétaire était justement injoignable car parti en vacances au soleil.
On pouvait comprendre qu’il était alors perdu et avait le mal du pays.
A la campagne, il adorait se promener, seul ou avec son ex-femme et sa fille, dans la journée pour se détendre et respirer l’odeur des fleurs des champs, ou le soir, pour simplement contempler les centaines d’étoiles dans le ciel. A la ville, il avait perdu tous ces repères. Il y avait l’isolement bien-sûr, mais quand il se promenait, la nuit, dans les grandes rues désertes, il pouvait voir que même les étoiles dans le ciel avaient disparu. Oui, elles l’avaient laissé aussi tout seul.
Je ne vais pas vous cacher qu’il y avait aussi, pour lui, des fins de mois difficiles. Mais le pompon, c’était quand il a perdu le droit d’utiliser sa carte bleue. Cela s’est passé quand son propriétaire a voulu qu’il lui verse rapidement, ce mois-là, son loyer en liquide pour pouvoir payer des ouvriers d’entretien au noir. Et cette semaine-là, il m’a alors dit qu’il était pas bien, enfermé sur lui-même à écouter de la musique à l’aide de sa petite radio portable.
Suite des mal-entendus répétés, il se sentait aussi rejeté par les autres locataires qui eux étaient pour la plupart étudiants. Ses difficultés de cohabitation sont ainsi revenues aux oreilles du propriétaire qui ne cherchait, lui, qu’un prétexte pour arriver à le mettre dehors. Il était à sa merci. Le propriétaire n’avait alors pas hésité à le faire travailler pour lui gratuitement.
Pour mon ami, il restait avant tout l’espoir de voir arriver enfin la mi-novembre pour ne pas être expulsé et puis le mois de décembre pour améliorer son ordinaire grâce aux Resto du Cœur et retrouver, ainsi, des sourires, être reconnu par les bénévoles et puis être enfin appelé monsieur.
Un jour, je l’ai vu les yeux pleins de larmes. Il était vraiment heureux et je n’ai pas eu beaucoup à le forcer pour qu’il m’explique que son ex-femme, oui son ex-femme, l’avait invité pour venir passer la journée de Noël chez elle. Et aussi, surtout, pour manger ensemble, comme dans une vraie famille, sous le regard lumineux de sa fille. Ce jour-là, elle lui a dit que sa simple présence avait été pour elle son plus joli cadeau de Noël.
Lui, il savait qu’il devait avant tout aller mieux pour avancer et tout d’abord faire des demandes de logement aux HLM. Sa situation a été alors considérée comme prioritaire et il espérait ainsi avoir un nouveau logement avant la fin mars.
C’était il y a un an. Depuis, cette époque, je sais qu’il a retrouvé du travail, une certaine dignité et le sourire, et cela d’autant plus vite qu’il a aussi obtenu un droit de visite pour voir sa fille un samedi après-midi sur deux. Pour lui, c’était le début du retour vers une vie normale. Je ne l’ai pas revu depuis début décembre. Je sais simplement qu’il ne s’est pas remarié et que son ex-femme ne l’a pas fait non plus.