Il reposa le manuscrit et me regarda sans mot dire un long moment. Assis dans un fauteuil un peu trop profond, je me sentais mal à l’aise. Il se leva, fit le tour de son bureau et vint se camper devant moi.
C’est de la merde ! Il avait craché le morceau.
Tu vois, petit ! Il m’appelait toujours petit, je le dépassais d’une tête, je n’avais que deux ou trois ans de moins que lui, mais il fallait absolument qu’il me fasse sentir la supériorité de sa qualité d’éditeur sur ma condition de scribouillard.
Il faut du ressenti, le lecteur doit être saisi comme un steak dans une poêle bien chaude...
Je le trouvais grotesque, il fallait qu’il m’en remontre à chaque fois, c’était plus fort que lui.
Une fois que tu le tiens, le lecteur, tu dois plus le lâcher, tu comprends, il doit être suspendu à tes mots, absorbé. Raconte n’importe quoi, on s’en fout mais il faut le captiver. Tu sais, le lecteur, il est con, il lui faut de l’action de l’hémoglobine, des morts...
Il allait quand même trop loin et commençait sérieusement à me gonfler. Mais son discours avait au moins le mérite de m’avoir redonné la pêche. Je me levai, lui repris le manuscrit des mains. Je faillis lui proposer d’écrire le roman lui-même.
James, vous m’avez ouvert la voie, je vous ai compris.
Il sourit. Là-dessus, je saisi un buste de Beethoven en bronze et lui fracassai le crâne.
De l’hémoglobine, un mort, je tenais mon roman. Il ne me restait plus qu’à trouver un nouvel éditeur.
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Un différent.
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très courte nouvelle
Convaincre, c’est un peu, parfois, vaincre les cons. Une des dernières maximes de mon très cher éditeur.