Contre vents et marées, tu penses que ce que tu possèdes est acquis à jamais et que rien ni personne ne pourra te faire perdre ce qu’indifférent tu laisses s’envoler.
Et pourtant, l’amour des autres, c’est comme une table, on peut y ajouter des rallonges mais pas indéfiniment et un jour, à force de tirer dessus lamentablement elle se brise et s’écroule avec toutes les richesses qui étaient posées sur la nappe qui t’étaient destinées et que tu refusais de voir. Alors là tu as beau tendre les mains, celui qui est tombé en même temps que la table n’en n’a plus rien à faire, il ne t’entend même plus, trop occupé qu’il est à ramasser les morceaux ou trop assourdi par le fracas que font les sentiments qui se brisent.
A toi il ne te reste même plus un millimètre carré d’espace pour poser tes regrets et tu restes là, les bras ballants, pantin inutile et superflu, épouvantail de chagrin planté au cœur d’une ville bruyante que les oiseaux ont à jamais déserté.
Alors tu fais le compte des chances qu’il te reste avant que demain ne rime avec trop tard : un mot, un sourire, un baiser sur le front, une main dans les cheveux... mais ces souvenirs s’éloignent de toi effrayés par l’amertume de ton âme. Tu voudrais les retenir mais inexorablement leur ombre s’estompe et le temps entreprend la lourde tâche de l’oubli.
Et tu t’étonnes de ne plus trouver de réponse dans le regard de celui que tu aimais tant mais à qui tu n’as jamais su le dire.
Et tu t’étonnes de poser ta main sur une main qui se dérobe sans un soupçon de frémissement ou d’affection.
Et tu te surprends à murmurer un prénom que le vent emporte sans espoir de retour.
Tu as mal car au fond de toi, tu sais qu’il est déjà trop tard mais tu ne peux te résoudre à renoncer, alors tu te débats contre l’inévitable, tu négocies, tu parlementes, tu marchandes, tu contestes, tu cries, tu hurles mais seul te répond le silence.
Et dans la nuit sans espoir qui s’avance comme un animal sournois et cruel, tu capitules et tu verses tes premières larmes... jusqu’à te perdre...