Depuis plusieurs mois il faisait souvent le même cauchemar.
Une sorte de rugissement effroyable le réveillait dans son sommeil. Il se penchait alors pour regarder sous son lit et il y découvrait un crocodile dont la gueule béante exhalait une odeur pestilentielle.
Pris d’une peur terrifiante, d’un bond il sortait de son lit pour aller se réfugier dans sa salle de bain. Mais le crocodile le suivait et il le retrouvait dans la baignoire, avec sa gueule monstrueuse le menaçant de tous ses crocs.
Il se mettait alors à courir hors de la salle bain pour fuir dans la cuisine, et le saurien qui semblait se déplacer bien plus vite que lui l‘y attendait encore. Ne parvenant pas à lui échapper dans toutes les pièces où il se réfugiait, il finissait toujours par se retrouver sur sa terrasse où, bien sûr, le monstre le guettait à nouveau.
Ne voyant pas d’autre issue pour s’y soustraire, totalement paniqué, il enjambait le muret de la terrasse et sautait dans le jardin.
C’est alors qu’il se retrouvait en sueur, tremblant de la tête aux pieds.
Il avait besoin d’une bonne heure pour se calmer et, après avoir bu un verre d’eau fraîche et fumé une cigarette, il se recouchait puis se rendormait non sans difficultés.
Le matin venu, après ce cauchemar, il se levait avec l’impression de ne pas avoir dormi de la nuit et passait une journée qu’il avait bien du mal à assumer.
Cet épouvantable rêve ne passant pas, il décida d’aller consulter son médecin.
Celui-ci l’interrogea longuement afin de savoir s’il n’avait pas eu un choc émotionnel avant que le cauchemar n’apparaisse.
Effectivement, quelques mois auparavant il avait subi une rupture sentimentale qui
avait énormément déçu ses espérances en créant une souffrance affective qui n’était pas encore totalement passée. Cependant, il ne voyait vraiment pas le rapport qu’il pouvait y avoir avec son histoire de crocodile.
Le médecin considéra pour sa part qu’il y en avait un et lui expliqua que la désillusion et la meurtrissure de la rupture avaient généré dans son subconscient une angoisse qui se manifestait ainsi.
Il lui prescrivit un médicament afin qu’il dorme mieux et lui recommanda d’aller voir un psychologue qui l’aiderait à se débarrasser de cette hantise incontrôlable.
Pas vraiment convaincu, tous les soirs il avala consciencieusement son cachet mais n’alla pas voir le psychologue.
Au bout de quelques semaines, le crocodile fantôme revenant régulièrement, il finit par se résoudre à aller consulter le psychologue qui, par chance, avait son cabinet dans une villa située non loin de la sienne.
Et c’est ainsi qu’il se rendit chaque semaine à ses séances de psychothérapie, racontant dans les moindres détails le grand amour qu’il avait connu et sa fin douloureuse avec de grands déchirements, tels ceux provoqués par deux mâchoires géantes qui l’avaient profondément blessé et laissé désemparé.
Le psychologue l’aidait à faire un travail sur lui-même afin que la blessure cicatrise pour pouvoir libérer son subconscient de cette déchirure.
Un tel travail demandait du temps et, en attendant d’être guéri, le cauchemar continuait à le hanter régulièrement.
Quelque temps après, le psychologue constata que son patient ne venait plus aux séances. Il pensa donc qu’il devait être débarrassé de son méchant rêve.
Bien plus tard, en passant un jour devant la maison de son ancien patient, il constata qu’elle était fermée, volets clos, avec de mauvaises herbes qui envahissaient le jardin.
Intrigué et désirant savoir ce qu’il était devenu, il interrogea le voisin qui arrosait ses plantes.
Il lui répondit que le malheureux homme avait été dévoré par un crocodile qui avait disparu en plongeant, semblait-il, dans le canal voisin. Il n’avait pas été retrouvé et l’enquête n’était pas parvenue à déterminer d’où cette bête avait bien pu s’échapper.