Une femme inoubliable.
Elle est apparue un jour, comme ça !
On la voyait partout !
Elle était partout à la fois !
On la croisait dans toute la ville !
Son air tranquille, sa beauté sereine en faisait une icône particulièrement appréciée. Sa silhouette longiligne se mariait parfaitement avec les grandes avenues. Sa souplesse de liane lui procurait l’immunité dans tous les jardins, qu’ils soient publics ou privés. Elle pouvait ainsi profiter d’espaces de calmes, de quiétudes.
Elle cultivait alors son goût prononcé pour le silence malgré son indifférence aux bruits.
Elle avait un équilibre à toutes épreuves qui lui donnait un air de conquérante. Un air identique à celui d’une louve en tête de sa horde et qui élabore une stratégie pour s’emparer de la proie convoitée.
C’était elle, "la liberté guidant le peuple" !
C’était elle qui semblait avoir inspirer Delacroix !
Ses formes graciles lui permettaient de se glisser dans une enfilade de ruelles sombres auxquelles elle apportait une soudaine animation. Les quelques personnes qui empruntaient ces passages jetaient tous un regard dans sa direction.
Parfois, on la voyait au détour d’un escalier. Il fallait alors que le quidam se cramponne un bref instant à la rambarde pour ne pas rater une marche tout en fixant la belle. Une fois que son regard l’avait effleuré, il reprenait son chemin et s’éloignait, accordant une attention vagabonde au linge qui pendait aux fenêtres, aux martinets qui fendaient l’air dans toutes les directions en poussant des sifflements stridents de gendarme autoritaire.
Elle attirait l’attention !
Aussi à l’aise dans une avenue bourgeoise que dans une rue livrée aux rats et à la vermine !
Les grandes bâtissent cossues lui offraient un cadre tout en volutes et arabesques. Les platanes bordant les artères les plus importantes jetaient parfois une ombre dansante sur son visage.
Cela ne troublait en rien son regard déterminé. Il semblait fixer un point qu’elle seule pouvait apercevoir. Rien ne le distrayait, pas même ce ballon qui atterrît dans ces jambes, pas même ce petit garçon qui courait dans l’espoir que le ballon ne traverserais pas la chaussée. Il y a même eut ce jour où un vieux monsieur fût pris de douleurs au bras gauche. Quelques instants d’après, il gisait à ses pieds, victime d’une crise cardiaque. Il mourut sous ses yeux. Elle n’avait pu rien faire.
Beaucoup de choses se sont pourtant passés sous ce regard là. Des instants de vie. Des instants de rires, des instants de larmes. Des moments de gloire, de plénitude. Des moments de drames, des moments où on se sent vaciller, où l’on perd la flamme.
Elle restait là !
Elle avait un air imperturbable !
Aussi solide qu’un roseau en prise avec le vent !
Malgré tout, elle offrait son sourire à tous les habitants de la ville. Il éclaboussait les rues, illuminait les places, se reflétait dans les vitrines. Même les intempéries ne parvenaient pas à l’effacer.
Son sourire s’était installé sur ses lèvres et comptait bien y rester !
Il coulait dans les yeux des passants comme un ruisseau au bord du trottoir après une grosse averse. Il inondait les endroits de la ville qu’elle envahissait comme un fleuve en pleine cru qui avait dépassé sa côte d’alerte. Il débordait jusque dans les appartements, les caves, les jardins...C’était un flot puissant qui attaquait jusqu’à l’intimité de ceux qui le contemplaient. Personne ne pouvait y échapper.
Même le moindre coursier, dans sa hate, n’y parvenait pas. Ce sourire était une arme redoutable. Un piège sophistiqué destiné à capturer le plus modeste des consommateurs et à l’amener à lire le slogan inscrit en grosses lettres juste à côté d’elle : " CET ETE, VENEZ DECOUVRIR LE CANADA ! "
Elle était très persuasive !
Décidément !
Les campagnes d’affichage étaient de plus en plus percutantes !