Il neige, le silence religieux des sapins endormis envahi la foret de Chaux, seul le bruit de la Loue furieuse, plus bas dans la nuit...
Chez la Mère Cardette, Joseph, le dernier joueur de carte, s’en va.
»Bonsoir la mère , il est grand temps , ce soir messe de minuit avec la Fine et les gosses, Joyeux Noël ! »
»Bon Noël Joseph ! N’oublie pas de mettre le petit Jésus dans la crèche »
Assise prés de la cheminée, la jeune femme frissonne encore dans son manteau, un manteau de vrai vison de la ville, un manteau de théâtre, la grosse valise noire de bon cuir entre ses pieds, son beau regard vert perdu dans la sciure sale du parquet.
Judith, le pousse dans la bouche, épluche son orange devant le sapin, droit, vert, étincelant de pommes multicolores et de bougies, de vraies bougies de cire avec une flamme qui brûle au bout. A Noël dernier à Paris, le sapin déplumé et tordu était couverts de boules de verre et les bougies électriques.
Les trois coups convenus heurtent la porte, la jeune femme se tasse encore, la mère Cardette abandonne le comptoir en zinc, traverse craintivement la salle, risque un œil dans la porte entre ouverte.
»Presse toi Roger, il est grandement l’heure »
Roger, solide bucheron, le poil hirsute, tape du pied, la neige qui recouvre la chaude pelisse de laine, tombe en flaque sur le sol.
Roger, regarde, la jeune femme et sourit édenté à la gamine. La Mère Cardette lui a déjà rempli le deuxième verre de gnôle, quand Roger dit, » La petite aura froid, donne lui les bas et la pèlerine de Maryse. »
Roger ne connait rien de la jeune femme et de sa fille, il sait simplement qu’il doit les conduire ce soir en zone libre.
La jeune femme, cherche la liasse de billets neufs dans sa poche,
« Combien vous dois-je, je veux vous payer maintenant. »
La mère Cardette éclate
« Nous payer, nous payer de quoi, le Roger il est comme moi, gardez vos sous, vous en avez plus besoin que nous ! »
Dehors la neige ne tombe plus, Roger marche devant, portant la valise, le froid est vif, une grosse lune illumine le ciel.
« Restez cachez sous ce grand sapin, pas un mot, je vais chercher la barque, on y voit comme en plein jour, lorsque vous entendrez le hurlement de la chouette, vous suivez mes traces, je vous attend en bas »
Roger a déjà disparu, la Loue grossie des dernières pluies, fait un vacarme terrible, La mère et la fille serrée d’angoisse attendent.
Aboiements des chiens, hurlement des ordres, rafales de mitraillette, cri de l’homme qu’on assassine puis le grand silence, même la Loue murmure.
Dans la guitoune éclairée,qui garde le pont Otto et Frantz, garde à vous impeccable, écoutent le chef de la patrouille,
« Le passeur est mort, demain Otto tu enlèveras le corps, toi Frantz tu iras chercher la mère Cardette, tu la remettras avec ces deux la à ses messieurs de la gestapo. Bon Noël »
Dans la guitoune, Otto écoute la radios qui entre deux Still Nacht, promet la paix pour l’année suivante, sur la paillasse, la mére berce Judith endormie.
Dehors Frantz, emmitouflé dans sa capote usée, fait les cents pas règlementaires, à chaque fois qu’il s’approche de la cabane, Douce Nuit, la mère berce l’enfant, la bas en Bavière une autre mère berce son enfant, les cloches de l’église appellent à la messe divine, le sapin étincelle...
Otto se lève, part dans la nuit, reviens plus tard avec la mère Cardette.
« Fuyez vite, La dame et l’enfant vous attendent de l’autre coté. »