Ils essaieront de vivre à deux, ou plutôt elle essaie, seule et obstinée dans la dure conquête du bonheur journalier : lui sera assis dans un fauteuil et lira l’Equipe. Elle est victime de cette maladie moderne, douce et mortelle comme la malaria, qui condamnera son homme à lire l’Equipe en buvant une Kro sur un fauteuil électrique.
Elle essaie de lui parler, elle lui parle de ce qui habite des heures durant le silence de ses pensées : il lui demandera ce qu’elle a regardé hier à la télé.
-Rien, dit-elle
-Rien, vraiment rien ? Mais alors, qu’est ce que tu as regardé ? s’étonnera-t-il.
Alors elle se tait, il aura repris l’Equipe, elle pense à sa vie avec lui, l’amour qu’elle lui porte, le gâchis. Elle se dit que le monde est injuste, injuste mais jamais en sa faveur, il doit y avoir un pourquoi.
Ce n’est pas avec lui que tu verras vieillir l’amour, Bienvenue. Il fuira les caresses, les caresses des femmes, les caresses des animaux, les caresses des enfants, les caresses de la vie. Il ne cherchera que la tranquillité. Souviens toi, c’est comme ça qu’il t’avait choisie, il aura pensé à toi pour le protéger, pour protéger sa tranquillité.
Ce soir là il pensera à toi, se tournera vers toi ce soir là, te regardera, toi qui ne vois pas ce qu’on te trouve, toi qui ne te trouves pas quand par hasard tu te vois : dans le reflet d’une vitrine ou sur une vielle photo, tu te vois mais tu ne te reconnais pas, sauf peut être les chaussures, tu changes assez souvent de chaussures mais c’est toujours grâce à elles que finalement tu te reconnais, sur les photos, ou au bas des vitrines. Et lui, qu’est ce qu’il te trouvera ce soir là ?
Il trouvera que tu es confortable et belle, il trouvera qu’il te fait bien l’amour, l’amour où pour lui tu as pris l’habitude de revêtir tes habits d’esclave, il trouvera que depuis qu’il te connaît il ne fait rien mais qu’importe, puisque pendant ce temps les choses se feront sans lui, autour de lui.
Et toi ce soir là tu as besoin qu’il te parle. Tu as besoin de diminutifs, de petits noms pour ce grand quelque chose qui cherche à éclore et qui est en toi, de mots qui te donneraient le pouvoir d’être fragile, mais il ne dira rien. Il sera capable de tous les silences et de tous les oublis, tant il sera à la recherche de la tranquillité, qui est le nom d’un lac, son histoire est faite d’oublis, qui n’ont pas nom.
Parfois tu te mets à genoux devant le fauteuil, derrière l’Equipe tu viens lui lécher le front, là où sont les idées tristes des petits chats, persuadée qu’il a les idées tristes mais non il te repoussera.
Ce soir là, il te dira : tu veux les pages tennis, j’ai fini ?
Alors, tu le quittes, tu le quittera.