J’ai voulu arrêter le temps, simplement l’arrêter pour ne plus avoir à subir ses effets. Oh ! Pas pour moi, mais pour ceux que j’aime, qui autour de moi petit à petit déclinent et se vident de leur substance vitale.
Alors j’ai fermé ma porte à clef, baissé les volets, coupé le téléphone. J’ai éteint les lumières, débranché la radio. De toutes les pendules j’ai ôté les piles. Je suis restée seule à suspendre les heures. Les yeux fermés pour ne plus voir, ne plus les voir, les voir souffrir.
Non, je ne dors pas : je ne pense pas. Depuis combien de jours suis-je ainsi, impossible à le dire, j’ai arrêté le temps.
Et là, le chat gratte à la fenêtre, le chien pleure dans sa niche, quelqu’un tambourine à la porte. Je ne veux pas répondre, je ne veux plus rien voir. Des cris, des appels, mais pourquoi ne me laissent-ils pas oublier tout ? J’ouvre les yeux... il fait noir, j’entends, j’entends la cloche de l’église qui sonne midi... Le temps ? le temps a continué sans moi ! Il a osé me faire ça ?
J’ouvre portes et fenêtres, et je le vois en face de moi, sur le visage buriné du facteur, le temps passé.
J’ai voulu arrêter le temps, il a filé sans moi, j’ai voulu protéger ceux que j’aime, les empêcher de vieillir et de disparaître, en fait je n’ai fait que me voiler les yeux, je n’ai fait que les abandonner, je les ai laissés vieillir sans moi, j’ai dilapidé ces instants que j’aurais pu passer avec eux. J’ai perdu ces précieuses minutes qui font que le présent est à vivre de peur que demain n’arrive jamais.
Personne ne peut arrêter la vie ni suspendre le temps, il faut le vivre intensément pour que chaque minute s’imprime au souvenir et que ces minutes gagnées sur la vie soient multipliées par cent.