Cela fait si longtemps, maintenant, que je n’ai plus croisé d’inséminateur sidéral que j’en suis réduit à me dé-dupliquer moi-même tous les cycles de renouvellement.
Je ne sais pas pendant combien de cycles c’est encore possible.
Peut-être, est-ce le dernier ?
Le temps ne signifie plus grand-chose, j’ai pourtant conservé sur la passerelle de commandement une horloge terrestre qui me rappelle une époque révolue que je n’ai pas connue. Elle est simplement inscrite dans mon patrimoine génétique comme le témoin de ce qu’un jour a été la vie sur ce petit bout de planète perdue dans l’immensité galactique.
Je suis un terrien, un humain, ha ha ha ha !!!
Comme si cela avait un sens depuis l’explosion ultime qui avait éparpillée le restant de l’humanité hors de la voie lactée.
Celle-ci s’est produite en 2424 selon le calendrier terrestre après l’épuisement total des ressources de la terre transformée en rocher aride.
Quelques siècles auparavant, les conciles dictatoriens avaient divisé le monde en trois parties : Hallathora, Chrétislama et Athagnosta. L’eau, la terre et le ciel. Ce partage qui rendait inter-dépendants les trois natiocraties avait mis fin aux guerres qui sévissaient depuis les origines de l’homme, guerres qui avaient failli mettre fin à l’humanité tout court lors du conflit géant qui opposa les croyants et les infidèles. Alors qu’il ne restait plus que quelques centaines de milliers d’humains, certains prirent conscience que notre race finirait par s’éteindre si elle continuait à s’entredéchirer ainsi. Ce fut la raison de la fusion des croyances et du partage des ressources afin que nul ne puisse plus jamais prendre le pouvoir et s’imposer. La race humaine recommença à prospérer et à se multiplier.
Las, il était presque trop tard, l’homme avait trop abusé de la terre qui se mourrait. Il fallait se résigner à quitter la planète originelle et entamer un voyage qui ne cesserait jamais. La terre était seule dans l’univers, la vie n’existait pas ailleurs, l’homme vivrait pour l’éternité dans des navires spatiaux. Un programme fut mis au point et pour éviter que l’histoire se répète, il fut décidé que, hommes et femmes seraient maintenant totalement égaux et que chacun se reproduirait désormais par insémination contrôlée lors de rendez-vous intergalactiques programmés.
Mission fut confiée à chaque vaisseau de partir en exploration, on voulait tout de même croire, qu’un ailleurs était possible et que l’homme pourrait un jour y vivre.
Bien que notre esprit soit désormais quasi éternel, nous n’avions pas encore réussi à nous affranchir de notre enveloppe corporelle et c’est pour cette raison que les inséminateurs sidéraux furent créés. Ils devaient permettre à la race humaine de se perpétuer par clonage spermovarien aléatoire. C’est-à-dire que régulièrement les vaisseaux d’exploration avaient rendez-vous avec les inséminateurs pour que les hommes régénèrent leur enveloppe corporelle et leur patrimoine génétique en évitant la consanguinité. A l’échelle du cosmos, les quelques millions que nous étions lors du big bang avaient peu de chance de se croiser deux fois de suite et il fallait aussi prévoir des rendez-vous manqués, la perte de vaisseaux. Pour pallier à tout cela, nous avions une réserve de spermovaire que nous remplacions à chaque fois qui devait nous servir à nous dé-dupliquer en cas de cycle manqué. Personne, à ma connaissance n’avait été jusqu’au bout de tous les cycles de dé-duplication, ma réserve fondait à vue d’œil. Les cycles devenaient de plus en plus courts, me semblait-il. J’en étais à mon cinquième cycle de dé-dup sans avoir croisé d’inséminateur. Tous mes appareils étaient muets depuis longtemps eux aussi, un choc avec un astéroïde pendant une dé-dup avait mis HS mon système de communication. Je naviguais depuis lors en automatique, aveugle et sourd, sans but.
Seule l’horloge continuait de rythmer ma vie, je restais parfois des années entières à la regarder fixement, sans bouger. Il m’arrivait aussi de consulter les archives de bord. Je les connaissais par cœur, c’est moi qui les avais toutes écrites depuis mon départ en 2424. Cela faisait si longtemps, si longtemps, si longtemps.
J’avais fais cinq cycles de dé-dup et je ne sais pas combien d’inséminations, ces informations n’étaient pas enregistrées, le temps ne comptait pas.
…
C’est mon dernier spermovaire, ma dernière chance. Que va-t-il se passer, vais-je mourir ?
…
Il fait froid, de plus en plus froid. Je ne peux plus bouger, c’est donc ça ?
…
Voilà, c’est fait !
Quand saurons-nous docteur ?
D’ici quelques semaines nous saurons si la fécondation s’est bien déroulée et si tout se passe comme prévu dans neuf mois vous serez maman.
Merci docteur, vous étiez ma dernière chance.
…
Ils s’étaient trompés, la vie existe ailleurs. Il suffisait d’y croire, nous ne sommes pas seuls.