Je m’absente pour conduire ma gamine au conservatoire. C’est qu’elle est douée la petite, elle apprend le solfège depuis le début de sa première année primaire et reçoit sans cesse des félicitations et les encouragements de son Professeur de piano.
Or donc, la maison reste vide pendant deux bonnes heures. Dix minutes pour conduire ma fille, un crochet chez ma sœur, un café et des discussions sans fin, elle adore discuter ma frangine. Et le temps passe, les minutes s’envolent. Je consulte le cadran de ma montre, plus le temps de retourner chez moi, je dois récupérer la petite. Pressée, je démarre sur les chapeaux de roue, direction le conservatoire de musique.
Enfin, je récupère ma gamine, je roule paisiblement vers la maison, il doit faire bon j’ai tisonné le poêle avant de partir.
Je m’arrête devant la barrière, quelque chose ne tourne pas rond, au lieu de voir la fumée s’échapper du conduit de la cheminée, c’est le toit qui semble fumer.
Laissant la petite dans la voiture, je vais ouvrir la porte d’entrée. Une fumée âcre a envahi la pièce, le feu, il y a le feu chez nous ! Je saisis mon téléphone portable, et j’appelle les secours.
— Oui, il y a le feu chez moi ! Je donne mon adresse, et j’attends, rien d’autre à faire. Les voisins sortent curieux, j’entends les sirènes qui se rapprochent.
Je téléphone à ma sœur, elle me propose de nous héberger la petite et moi. Les pompiers se démènent et tant bien que mal, noyant les carrelages d’une flaque noirâtre, ils réussissent à sauver une partie de la maison. Je ne peux que constater l’évidence elle est à présent inhabitable, le feu est circoncis mais la fumée a peint les murs et les plafonds en gris et l’odeur est insoutenable.
Nous voilà donc chez ma chère sœur qui nous accueille avec compassion.
Première nuit.
Je dors dans un divan inconfortable, ma fille prend place dans le lit de sa cousine. Je n’arrive pas à dormir, j’entends des pas à l’étage. J’interrogerai ma sœur demain matin.
Premier jour :
Je prépare ma fille pour l’école, elle prend son petit déjeuner, ma sœur lui file des fringues de sa cousine, par chance elles ont le même âge, et elles sont de la même taille.
Retour de l’école, une tasse de café avec ma sœur. Quelques bavardages anodins, ensuite je l’informe des bruits entendus cette nuit. Sans doute des souris me répond-elle.
Je ne m’inquiète pas, c’était peut-être elle qui se trouvait là-haut. Les souris ne marchent pas, elles trottinent.
Deuxième nuit :
Je ne rêve pas quelqu’un se déplace sur le plancher. Ma sœur est dans sa chambre, en allant me soulager je l’ai entendu ronfler, ce ne peux être elle. Je dois en avoir le cœur net, ça me turlupine.
Deuxième jour :
Après avoir conduit ma fille, je rentre chez ma sœur, un mot sur la table, elle est partie faire quelques emplettes. J’ai décidé de monter à l’étage pour vérifier d’où proviennent ces bruits de pas. Je me sens un peu coupable de fouiller sa maison, elle nous loge, nous nourris.
Étouffant mes derniers scrupules, je gravis les marches de l’escalier, je me retrouve sous les combles. Le plancher est branlant, au fond de quelques trous creusé par la vétusté du parquet fleurissent des brins de paille poussiéreux.
Juste le temps de voir une cloison au fond du grenier. La maçonnerie est plutôt récente, aucune poussière, aucune craquelure dans les joints, une porte trône en son centre. Elle est fermée. Bizarre !
J’entends une voiture devant la maison, les graviers hurlent de douleur sous les pneus du véhicule qui les malmènent. Ma sœur !
Je descends au plus vite, stressée, je manque de m’étaler plusieurs fois. Quel plancher pourri !
Troisième nuit :
Ça n’arrête pas. Cette fois je dois savoir ce qu’il y a derrière cette maudite porte, demain j’y retourne.
Troisième jour :
C’est samedi, pas d’école. Nous allons nous promener en famille. La porte attendra. La journée a été agréable. Seul incident, mes anciens voisins ont téléphoné, des apprentis pillards ont visités la maison sinistrée, ils ont filé avant l’arrivée de la police.
Quatrième nuit :
Ma sœur a installé un lit pliant, c’est plus confortable, ma fille a dormi avec moi, j’ai avalé un somnifère, je suis crevée.
Quatrième jour :
J’ai dit à ma sœur qu’elle devrait aménager les combles, pour l’isolation d’abord, ensuite je lui ai fait remarquer que cela valoriserait la maison.
Elle ne veut pas en entendre parler, c’est trop onéreux explique-t-elle.
Cinquième nuit :
Cette nuit je m’endors de nouveau avec Prince Valium, s’il y avait du bruit je n’ai rien entendu. Me droguer toutes les nuits ça craint !
Cinquième jour :
Pas la forme ! Je suis encore dans les vapes, ma frangine conduit les deux fillettes à l’école. J’en profite, un café corsé me booste.
Je file au garage, un pied de biche traîne à terre, je le ramasse, j’enfoncerai cette foutue porte.
Je monte la peur au ventre, en cas de besoin je pourrais me défendre avec l’outil qui me servira à forcer la serrure.
Je fais le moins de bruit possible, les yeux rivés au plancher j’évite les nombreux pièges, poser le pied dans l’une de ces trouées pourraient me blesser ou me précipiter un étage plus bas.
La porte est devant moi, une porte sombre et sans âme, j’hésite un instant , une boule se forme au creux de mon estomac, aspirant une longue bouffée d’air que j’expire lentement, j’introduis l’une des extrémités du pied de biche à hauteur de la serrure , avec un mouvement de levier elle cède et la porte s’ouvre.
Je n’en crois pas mes yeux, je recule, les poils de mes bras hérissés par l’effroi je fuis cette chose immonde. Ma sœur, comment a-t-elle pu ?
Je détale vers l’escalier, le plancher tente de m’empêcher de fuir, il tangue et les excavations se multiplient. Prise au piège, je tombe en m’écorchant le genou, je hurle de terreur, la chose me suit, elle s’approche. D’un bond je saute et je rate la première marche et dégringole jusqu’en bas. J’ai mal partout mais me redresse malgré tout, des ecchymoses grosses comme le poing me font un mal de chien et mon genou est en sang.
Je sors de la maison comme une folle, je fonce droit devant moi, ma sœur au volant de sa voiture m’évite de justesse. Je vais chercher ma fille, je suis écœurée, jamais plus nous n’y retournerons.
A.M.