3 avril, début de matinée.
Le soleil n’est pas encore levé lorsque Fabien enfile ses pantoufles. Vêtu de son pyjama bleu fétiche, il sort dans le jardin de ses parents, à l’abri des regards, les autres dormant encore ; après tout, il n’est que trois heures du matin...
L’adolescent aime se retrouver seul pour méditer, ce qui n’exclu évidemment pas qu’il apprécie le tumulte provoqué par d’autres camarades de son âge.
Sa mère le gronderait encore pour être sorti sans ses chaussures mais il aime le contact de ses chaussons sur l’herbe humide : drôle de plaisir pourtant...
Le garçon repense aux derniers événements sans éprouver de sentiment, ce qui devrait alerter normalement, mais il est le seul à savoir ce qu’il ressent et il parvient à cacher ses sensations réélles... Encore quelques minutes et il retournerait dormir, tenter en tout cas, avant que les cauchemars ne reviennent le hanter, et, vu son âge, treize ans d’âge déjà comme dirait son père, il était temps de la consommer car elle ne vieillirait plus maintenant...
Quelques minutes de silence et de repos, c’était tout ce que désirait Fabien pour l’instant, après, il reprendrait sa vie, comme toujours.
Vers 3h30, il rentra, sans un bruit, dans la maison, tout d’abord, puis dans sa chambre, et enfin dans son lit, après avoir, logiquement, retiré ses pantoufles. Et il tenta de retrouver le sommeil ; au bout de 3 ou 4 tentatives, le sommeil le happa soudainement mais celui-ci ne fut, une fois de plus, guère réparateur...
Tout avait commencé avec le "jour des poissons" comme sa mère aimait surnommer le 1er avril ( tous les vendredis étaient "jour des poissons" mais ces jours n’avaient pas la même signification...).
Ce jour là, Thimothée Martin était venu le chercher pour un match de football improvisé et il avait accepté avec entrain, persuadé de passer une bonne après midi. Toute la bande était regroupée au grand complet : on retrouvait le Ptit Paulo, Maxime et Sylvain Francardin, les deux frangins qui habitaient la dernière maison du village, Stéphane dit "Titi" (contrairement à Paulo dont le sobriquet était lié à l’âge, celui de Stéphane lui avait été attribué par rapport à sa taille, ce qui ne l’empêchait pas d’être un adversaire particulièrement coriace, et les deux capitaines se battaient (au figuré, bien entendu) pour l’avoir dans leur équipe...). Les filles n’étaient pas en reste, et on pouvait toujours compter sur Isabelle et Virginie pour faire le show.
Après deux parties jouées, les deux équipes du jour terminèrent sur un score d’équité, et l’ensemble des participants désignèrent comme "hommes du match" Stéphane et Fabien, comme souvent lors de leurs disputes sportives. Après s’être félicités, chacun rentra de son côté pour retrouver la chaleur de sa maison ; après tout, on n’était que début avril, et après deux bons matchs de foot, le froid semblait revenir plus vite qu’avant les rencontres amicales certes, mais non dénuées de sueur...
Certains avaient tenté de coller des "poissons" fabriqués maison mais l’accrochage ne se voulait guère discrêt et donc les morceaux de papier ne trouvèrent pas refuge sur les habits...
Au moment de rentrer chez lui, Fabien ressentit un malaise ; c’est vrai qu’il résidait un peu en dehors du village, pas beaucoup, certes, mais sufisamment pour ne pas être gêné par des voisins, ce qui n’était pas un avantage vu le caractère de son père. Ce dernier avait placardé un mot sur la porte l’incitant à ne revenir qu’en début de soirée ("j’espère fiston que tu m’as ramené un ticket gagnant aujourdh’ui, sinon tu sais ce que tu mangeras...).
L’adolescent, dans un premier temps, se dit que c’était pour le 1er avril, mais ensuite, il pensa que son père ne connaissait sans doute pas la date du jour...
Pourtant, malgrè la directive sur la porte, il entra. Il désira saluer sa mère, du style "salut maman, tu vas bien, je me suis bien amusé au foot et je meurs de faim" mais il se retint en sachant qu’elle ne serait pas dans la cuisine.
Dans la cuisine, le garçon éprouva un préssentiment et ce dernier ne désirait pas le quitter... Bravant son angoisse soudaine, il se dirigea vers la porte du frigidaire quand ses narines le chatouillèrent.
Qu’est-ce qu’ils n’ont pas jetés pour que ça sente si mauvais pensa tout haut Fabien.
Après une rapide inspection du réfrigérateur, l’adolescent ne trouva rien de suspect et il retira la motte de beurre. Il prit ensuite du pain, un couteau, et il se prépara une tartine... mais l’odeur n’avait pas disparu pour autant... Fabien commença à prendre peur...
Maman, maman, tout va bien là haut ?
Pas de réponse, pas un seul soupir... Fabien monta les escaliers et l’odeur devint de plus en plus pestilentielle... Il ouvrit grande la porte et trouva sa mère complêtement ensanglantée, une large déchirure au ventre. Sa mère n’était pas encore morte, mais elle était attachée au lit et saignait abondamment ; de plus, elle semblait droguée... Fabien courut vers le téléphone, mais son père avait coupé les fils... alors, il détacha sa mère et voulut l’aider, mais cette dernière le supplia de la laisser car elle avait déjà perdu beaucoup de sang et qu’elle ne serait qu’un fardeau désormais...
Puis, un bruit alerta la mère et son fils : l’autre revenait...
Fabien laissa sa mère, pour tenter de s’échapper, mais son père bloquait les escaliers... L’enfant se précipita dans sa chambre et ferma à clé (il avait convaincu les anciens propriétaires à installer une serrure et à lui confier une clé ; il connaissait les secrets des Brady et s’ils ne souhaitaient pas qu’il les divulgue...
Tu vas ouvrir sale môme, de toute façon, tu ne tiendras pas longtemps sans manger, ni boire... A ton âge, on a besoin de munitions pour tenir... Et ta pauvre mère, tu penses à ta pauvre mère qui a besoin d’un médecin. Si tu m’ouvres, tout s’arrangera et on ira chez un docteur qui la soignera. Tu sais, c’est pas d’ma faute, elle est parfois méchante avec moi, donc je dois la punir. C’est mon devoir tu sais, je suis sûr que tu comprends.
Alors ouvre moi cette putain de porte.
Cette fois, son père hurlait, mais Fabien ne l’entendait plus depuis longtemps... Il avait ouvert la fenêtre qui donnait sur l’extérieur et était parti ; le temps que son père réagisse, il serait tard et il serait en sécurité.
Robert s’énervait toujours contre son "enfoiré" de fils (""enfoiré" n’est pas une insulte à mon goût, tu connais pas Coluche" lui répondait souvent Fabien mais ça n’empêchait pas Robert d’apprécier cette insulte qui en était une pour lui...).
Bon, cette fois, ça ne va se passer comme ça.
Il prit son élan et cogna avec son épaule. Au bout de cinq minutes, son membre endolori le dissuada de continuer et il dut perdre quelques instants pour réfléchir ; à force, il trouva tout de même, la solution à son problème. Il irait chercher la hache qui se trouvait dans la grange.
Dix minutes passèrent car il ne se rappelait plus où sa "saleté de femme" avait rangé son outil le plus précieux ("le second plutôt car le premier il le portait toujours sur lui" comme il aimait se le rabacher car l’avis de sa femme était en désaccord sur ce point "il doit être rèche ton outil vu la cadence que tu t’en sers" ; "ici femme, c’est moi qui décide quand je dois te donner du plaisir avec mon outil, d’autres que toi l’apprécient..." ; "que tu dis, tu ne sors pratiquement jamais d’ici..." ; "stoppons ces bavardages incessants, tu sais bien que le docteur m’a prescrit du repos..."
Il remonta ensuite avec la hache et démolit la porte, mais ce fut plus difficile qu’il ne le pensait... Entretemps, Fabien avait contacté les gendarmes, et même, si au départ, personne ne voulait croire à son histoire, l’un des faction décida de prévenir son supérieur qui demanda l’identité du plaignant or le père de Stéphane était l’officier le plus gradé des gendarmes et Fabien était le meilleur ami de Stéphane. Qu’avait-il à perdre de vérifier ? Un peu de temps dans le pire des cas : il ne se passait pas grand chose au village...
Deux gendarmes partirent donc au domicile de Fabien accompagné de ce dernier. Arrivés à leur destination, le conducteur stoppa la voiture, et, en descendant de leur véhicule, ils entendirent un bruit suspect : un hurlement de rage...
Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda un des représentants de la loi.
Je n’en sais pas plus que toi. Mais montrons nous prudents.
Toi gamin, reste ici, ça vaut mieux.
Les deux adultes rentrèrent dans la maison en demandant à haute voix si tout allait bien là haut.
Robert mis quelques instants à comprendre la situation.
Qui rentre dans ma maison ? Et de quel droit ? Déguerpissez d’ici où je vous balance ma hache dans la gueule.
Du calme, monsieur Pivert, nous sommes les gendarmes et nous avons été prévenu par votre fils, qu’il se passait des choses bizarres chez vous.
De quoi vous mellez vous, c’est mon fils, j’ai tous les droits sur lui, ainsi que sur ma femme, d’ailleurs, vociféra Robert.
Calmez vous monsieur, si vous avez, certes, des droits sur l’éducation de vos enfants, vous devez aussi respecter la loi ou en subir les conséquences.
C’est quoi ce charabia, vous êtes chez moi ici et je vous dis que seul moi commande ici : je suis le seigneur de ma maison.
Après ces paroles, Robert désira descendre comme un forcené les marches le conduisant au rez-de-chaussée, la hache bien sérrée entre ses doigts, mais une balle se logea dans sa tempe et il acheva sa course, son "précieux objet" dans son ventre...
Bon dieu, le petit avait raison, je monte à l’étage pour voir si on peut faire quelquechose pour sa femme.
Tandiq que l’un des représentants de la loi grimpait au premier, l’autre appelait les secours. Cinq minutes plus tard, les ambulanciers arrivèrent mais ne purent que constater le décès des époux Pivert.
Qu’est-ce qu’on fait pour le gosse ?
On va sûrement devoir lui trouver une place dans un foyer, en ville...
Je peux l’adopter, moi, déclara Philippe ; on cherchait à adopter Elise et moi ; on pensait pas qu’il serait aussi vieux mais c’est pas grave ça. On va essayer de combler son manque d’amour. Je vais lui apprendre la nouvelle. Il est toujours dans la voiture ?
Sans doute.
Philippe Duchamp s’engagea à l’extérieur de la résidence pour ouvrir l’estafette.
Tu peux sortir, tes parents ne pourront plus faire contre toi maintenant...
Ils sont donc morts...
Ouais, et c’est ptêt pas plus mal ; enfin en ce qui concerne ton père du moins. Est-ce que ça te dirait de m’avoir comme père adoptif ?
Oh oui monsieur, déclara Fabien, un large sourire aux lèvres.
C’est comme si c’était fait. Tu peux m’appeler Philippe ; et toi, c’est Fabien je crois.
C’est bien ça. Et encore merci.
De rien, c’est normal ; après tout ce que tu as vécu... et comme on cherchait à adopter ma femme et moi, c’est nous qui te remercions...