Marie arrive, essoufflée, à la porte verte, et sonne.
-Je t’ouvre lui répond Fred à travers l’interphone.
Elle grimpe les marches deux à deux, en empoignant la rampe. Sur le palier, dans un pot de céramique bleue, un palmier étale ses palmes pointues-
Il n’était pas ici la dernière fois qu’elle était montée chez Fred-
Pensée futile qui la fait sourire malgré elle...
Quelle importance un palmier en ce moment !
Elle n’a pas le temps de taper à la porte que celle-ci s’ouvre.
Fred est là, devant elle, amaigri, le teint terreux, avec ce regard inquiet qui observe la réaction de Marie devant sa nouvelle apparence. :
Ce regard sans cils
semble étrangement plus clair
et même liquide
La peau à la teinte ivoire
apparaît plus transparente
Redoutant la réaction de Marie, Fred reste la main encore posée sur la poignée de la porte . La jeune femme , comme statufiée ne peut dire un mot. Elle sent soudain l’envahir le flot glacé de la peur et de l’angoisse. Mue par un élan irrépressible elle se jette dans les bras de Fred qui la reçoit contre sa poitrine et la serre contre lui.
Les mots sont inutiles, seules les larmes peuvent expurger la douloureuse tension qui enserre le cœur des deux amoureux.
Esquissant un geste
Marie prend entre ses mains
Le crâne de Fred
Qui brusquement se recule
Tant il craignait ce contact.
-Tu comprends Marie ? Vois ce que je suis devenu en si peu de temps. Je ne pouvais t’imposer cela,, Déjà, me voir dans mon miroir, est au-dessus de mes forces.
-Fred, ne dis rien, ne dis plus rien, je suis là à présent, Nous allons nous battre, Rien n’est vraiment inéluctable.
-Mais Marie, je sais ce que j’ai !
-Je devine, mais il y a de l’espoir, j’en connais tu sais qui s’en sont...
-sortis ! Ah, mon cœur, il y en a tant aussi qui ont été vaincus par ce crabe de malheur.
-Je me battrais avec toi, et à deux tu verras les choses seront plus faciles à supporter. Ce soir je dors là et demain nous aviserons
-Non Marie, rentre chez toi, Je suis épuisé et mes nuits sont si hachées que je finis par dormir dans le fauteuil de mon bureau...Je t’appellerai demain matin.
-Non Fred, je reste avec toi, c’est décidé à moins que tu ne me chasses
-Marie !
-Il n’y a pas de Marie, je reste, vas t’asseoir dans ton fauteuil je vais nous préparer du thé.
Effluve odorant
Logis qui se réchauffe
Par cette présence
Et ce parfum de jasmin
Qui couvre l’odeur de tabac
Aujourd’hui le vrai présent commence, et Fred laisse tous ses muscles se détendre. Le chuchotement discret de la bouilloire et le frottis des pas de Marie s’activant dans la cuisine.le bercent et instantanément tout ceci lui semble naturel, à sa place enfin. ! Cette quiétude lui apparaît alors comme un bouclier contre sa maladie l’ angoisse et la souffrance.
L’envie de lutter commence à s’insinuer jusqu’au plus profond des fibres de son être. Et lui qui s’apprêtait à abandonner les soins trop invasifs, se sent d’un coup plus fort pour affronter les épreuves qui l’attendent . Il connaît déjà le protocole qu’il aura à subir durant sa prochaine cure.et qui donnait de bons résultats lui avait affirmé son docteur..
Alors, spontanément, il empoigne le paquet de cigarette, posé sur le guéridon à côté de son fauteuil, et le froisse rageusement avant de le jeter dans la corbeille à papiers. Il lance aussi le cendrier devenu le cimetière des cendres froides de plusieurs mégots abandonnés. Puis il va rejoindre dans la cuisine, en portant la corbeille , Marie, qui verse le thé dans les tasses de porcelaine bleue.
- Où ranges-tu ton plateau, Fred ?
- Attends je vais chercher, car à vrai dire je ne me souviens plus exactement. Je n’ai jamais su ranger. C’est ma sœur qui quelquefois vient faire un brin de ménage et elle tempête à chaque fois car elle passe beaucoup de temps pour mettre tout en place alors que moi, en deux heures, tout est à nouveau sans dessus dessous.
- Hé bien dit marie en riant ; il faudra que ça change ! Sinon tu auras affaire à moi.
- Seuls mes bouquins et mes papiers sont rangés et là je suis presque maniaque. C’est ma deuxième vie tu sais...Je l’accomplis par personnage interposés . Mais là j’avoue que ma muse me boude depuis un moment... mon ouvrage est en plan et je n’ai plus aucun courage pour le corriger ou le continuer.
- Laisse faire le temps, reprends des forces ou alors surtout garde-les pour ce qui t’attend. Nous allons aménager des moments où seuls ne compteront que nous. Mais il est évident que si tu as besoin de silence ou de t’isoler, je respecterai ces instants. Je me sais bavarde et si cela t’ennuie, n’hésites pas à me dire de me taire, je ne serai pas blessée, je comprendrai que tu as besoin de solitude.. Le silence avec toi est tellement plein d’amour que je ne le sentirai pas comme négatif.
- Marie, pour moi ton babillage est un vrai plaisir .. Hélas, je suis un silencieux de nature, mais si tu savais combien j’ apprécie ton humour et le son de ta voix aussi ne m’en veux pas trop si je ne suis pas très disert. J’ai l’habitude de me plonger dans mes lectures ou mes écritures pendant de longues heures sans voir passer le temps mais les affres ou la passion de la création me réveillent pratiquement toutes les nuits. Je ne me rendors qu’au petit jour
- et tu laisses ta lampe allumée
- oui toute la nuit.
- Je m’en étais aperçue ! Je regardais cette clarté depuis ma fenêtre, en pensant que tu étais là ,à quelques pas de moi et me demandais souvent ce que tu pouvais bien faire en étant éveillé ainsi,toutes les nuits . L’envie de te rejoindre certains soirs étaient irrépressible mais je me faisais violence ne sachant pas ta réaction. J’avais même peur au début de notre relation de te demander quand nous nous reverrions, tant tu m’impressionnais. Ce qui augmentait le manque de confiance en moi.. Je ne me trouvais pas assez bien., boulotte, insignifiante...
- folle que tu es, mon cœur, tu es la plus belle chose qui me soit arrivée dans ma vie.
( à suivre )