Nuit veuve de lune
Des heures à écouler
Une toux intruse
Morcelle le souffle court
De ce sommeil de noyé.
Marie, éponge le front de Fred qui grelotte. Il a quitté le lit sitôt entré, pour rejoindre ce fauteuil qui l’accueille toutes les nuits depuis qu’il est rentré.
Impossible de s’allonger sans étouffer.
Mais Marie est là et elle , d’habitude si bavarde, reste silencieuse pour éviter à Fred de suffoquer à vouloir lui répondre. Une musique douce enveloppe la pièce, et peu à peu ses arpèges apaisent Fred qui s’endort, la tête de côté, sa main dans celle de Marie qui va veiller jusqu’au petit jour, ainsi adossée au fauteuil de Fred .
Soleil de miel pâle,
Bandes neigeuses des nues,
Le ciel s’éclaircit.
Au fronton d’en face luit
La lampe d’un couloir noir
La rue charroie les gens qui rejoignent leur travail. Sur le trottoir, des mamans pressées emmènent par la main leurs gamins vers l’école voisine. La vie reprend ses droits dans la cité. Il est près de huit heures et la sonnette retentit. Fred ouvre ses yeux, et peine à reprendre ses esprits, sans doute embarqué dans un rêve matinal qui l’a coupé du monde réel.
Marie, c’est l’infirmière, peux-tu lui ouvrir s’il te plaît
Marie s’exécute et ouvre la porte à une jeune femme, qui amène avec elle la fraîcheur du dehors.
Toutes deux se saluent, et Marie s’éclipse dans la cuisine pendant que l’infirmière se dirige, comme elle en a l’habitude, vers le bureau où Fred passe ses nuits.
Voulez-vous du thé, mademoiselle , je suis entrain d’en faire.
Volontiers, car ce matin j’ai dû me rendre très tôt chez un malade en urgence et je n’ai rien pu prendre de chaud. J’accepte avec plaisir
Fred remonte la manche de sa veste de pyjama, et puis son pantalon. Prise de sang ce matin, et aussi la quotidienne piqûre pour remonter son immunité bouleversée par la chimio. Lorsque s’achèvera son court retour chez lui, l’équipe médicale statuera sur les modalités du traitement futur.
En attendant il faut qu’il se se repose et surtout renforce ses défenses.
L’infirmière pressée se hâte d’avaler son thé presque brûlant et prend congé.
Marie et Fred continue leur petit déjeuner, dans l’ambiance feutrée et musicale d’un concerto de Liszt.
- « Comment te sens-tu ce matin, Fred ?
Pas plus mal qu’hier mon cœur, mais je ne finirai pas ma tartine, je n’ai vraiment plus faim
Si le cœur t’en dit nous irons faire quelques pas près du canal. J’ai vu hier des cygnes et leurs petites couvées grises qui folâtraient sous le rideau des saules pleureurs.
Je suis si las, m’amour...
mais juste quelques pas, cela te fera du bien... Tout juste un quart d’heure, il n’y a que la rue a traverser et prendre le chemin des sorcières.
Ah oui le chemin des sorcières ! ce nom m’a toujours intrigué depuis que je suis arrivé dans ce quartier.
A présent si tu veux tu peux te reposer pendant que je dessers et range un peu. Nous aviserons après. »
chuintement aigu
agaçant et obstiné
Fred se sent vidé.
Ce bruit lancinant d’oreilles
Ne le quitte plus jamais.
Ce n’est rien lui avait dit l’oncologue...cela cédera après les chimios. Mais Fred se sentait habité par mille insectes et cela parfois le hantait.
Mais depuis que Marie avait investi les lieux, l’esprit de Fred était de plus en plus détourné de cet handicap sonore. Il aimait tant le babillage de son aimée qu’il en arrivait presque à oublier cet énervant inconvénient.