LE PEUPLE PERDU
Alban de Mazières se frayait un chemin à la machette en poussant des jurons sonores. Ethnologue à la faculté de Bordeaux,iIl avait atterri la veille sur le petit aérodrome de Maripasoula en Guyane où l’attendaient les trois jeunes indiennes qu’il devait ramener dans leur tribu. Parti dès l’aube, vers cette portion de l’enfer vert qu’il ne connaissait pas, il se demandait à chaque instant dans quelle galère il s’était fourré.
Les choses étaient allées si vite !
Dix jours plus tôt, les autorités préfectorales de Guyane avaient monté une opération « Anaconda » contre les orpailleurs clandestins de la région de Saint Georges. Aventuriers sans foi ni loi, originaires du Brésil, les garimpeiros cherchaient fortune dans la forêt guyanaise. Ils franchissaient l’Oyapoque en amont de Saint Georges, et s’établissaient dans les innombrables campements de fortune qui pullulaient le long des petits cours d’eau. Puis, comme des chancres purulents, ils contaminaient la forêt vierge. Abattant les arbres précieux pour construire des cabanes, polluant l’eau, l’air et la terre à grand renfort de mercure ou de benzène, détruisant la faune, volant, tuant... Pour un peu d’or, ils transformaient un paradis sauvage en cloaque immonde...
Dans ces antichambres de l’enfer la vie n’avait aucune valeur, on tuait pour une pépite, on violait à la première démangeaison, on buvait pour oublier...et on recommençait.
Lorsque les gendarmes et les légionnaires français débarquèrent en hélicoptères, la surprise fut totale. Les garimpeiros étaient sur leurs lieux de travail, pataugeant dans la boue, les yeux rivés sur leurs battées. Ils n’eurent pas le temps de fuir ou de se défendre et, très vite, ils furent menottés, regroupés puis présentés aux représentants de la loi.
Dans un campement un peu à l’écart, les gendarmes découvrirent un bordel où trois jeunes indiennes vivaient recluses sous la coupe d’un maquereau brésilien. La surprise des autorités fut grande en s’apercevant que ces trois jeunes femmes ne parlaient aucune des langues de la région. Avec beaucoup de patience les enquêteurs comprirent qu’elles venaient d’une zone interdite dans laquelle la présence d’une tribu n’avait jamais été soupçonnée.
La machine administrative pris le relais de la maréchaussée. A Cayenne, un fonctionnaire un peu écolo, acquis à la cause amérindienne eut la bonne idée d’appliquer un « principe de précaution » au cas où ! c’est ainsi que fut monté l’expédition de rapatriement des trois femmes sous la responsabilité d’Alban de Mazières professeur d’ethnologie et grand spécialiste des cultures amazoniennes.
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Des jaillissements de lumières colorées illuminaient l’espace. Un bouillonnement anarchique de photons et d’énergie pure saturait la portion d’univers où se trouvaient les deux entités. L’une d’elles, la plus puissante mais aussi la plus violente exprimait une indescriptible colère.
Azraoth ! C’est inacceptable !
Oui seigneur.
Est ce que c’est une manœuvre de nos adversaires, ou est ce une monstrueuse bourde de nos services.
J’ai bien peur que ce soit la deuxième ...
Tu te rends compte de ce que ça signifie pour nous ?
Oui c’est une catastrophe ! il ne faudrait pas que les humains puissent en tirer des informations avant que nous nous en occupions. Mais seigneur, ce n’est pas la première fois ... nous allons procéder comme d’habitude !
Tu n’as pas bien saisi l’ampleur du problème Azraoth !
L’être au pourpoint d’or et de feu se raidit imperceptiblement. La façon dont le maître de lumière avait prononcé cette dernière phrase était inquiétante. Ce dernier reprit d’une voix doucereuse.
Ce n’est pas un peuple dont nous avions négligé l’évolution.
Mais alors comment se fait-il ...
Un lourd silence ! Azraoth venait de comprendre.
Non ! ce n’est pas ?
Et oui Azraoth ! c’est un peuple premier ... sans doute le dernier peuple humain à n’avoir pas subit la « création » !
Ce n’est pas possible ! nous les avions tous formatés ...
Non ! pas tous.
L’être au pourpoint d’or parut se rasséréner.
Donc les autres ont les mêmes problèmes que nous.
Oui ! nous allons être obligés de coopérer sur cette affaire. Je te charge de ce dossier. Tu contacteras Gabriel, ce sera ton correspondant.
Gabriel ! Eux aussi sont vachement inquiets !
Je te le fais pas dire ! mais méfie toi tout de même de Gabriel, si il peut profiter d’une occase pour te baiser, il ne la laissera pas passer.
Une explosion de lumière ponctua le propos. Les accès de rire, dans cette portion de continuum, ressemblaient à de fabuleux feux d’artifices.
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Alban observait les trois jeunes filles avec attention. Il avait pu leur faire comprendre qu’il n’était pas comme ces hommes qui avaient abusé d’elles et souillé leurs corps. Elles avaient admis, semblait il, qu’il les ramenait chez elles et elles acceptaient de répondre à ses questions. Répondre était un grand mot car elles avaient un vocabulaire d’une pauvreté incroyable. Elles disposaient d’une centaine de mots, tout au plus et elles n’avaient aucun terme pour désigner certaines choses un peu abstraites comme les nombres ou les couleurs.
En communiquant avec ces gamines, Alban se souvint des théories du linguiste américain Benjamin Lee Whorf qui prétendait que le langage déterminait la pensée et non l’inverse. Il eut l’impression d’avoir en face de lui les preuves vivantes du déterminisme linguistique.
Nous sommes encore loin ? demanda Alban
La plus jeune des trois répondit par une mimique qui semblait vouloir dire non. Effectivement quelques heures plus tard apparut une clairière. Un village d’une vingtaine de carbets s’élevait en son centre, à proximité une rivière coulait paisiblement.
Lorsque l’ethnologue entra dans le village accompagné des trois filles, il n’avait jamais imaginé, même dans ses rêves les plus fous, découvrir un peuple aussi primitif.
Les indiens étaient tous nus, hommes et femmes, et vivaient dans un dénuement absolu. Ils n’avaient pas d’outil, pas de champ cultivé, pas de provision, pas d’animal domestique... rien ! ces hommes étaient nus, ils n’avaient rien... et pourtant ils étaient souriants et donnaient l’impression d’être heureux.
Un vieillard s’avança, les trois filles se dirigèrent vers lui mais elles ne firent que passer. En arrivant à sa hauteur, elles se contentèrent d’un regard pour le vieil homme avant de retrouver leurs familles. Des familles qui manifestaient leur joie par des sourires discrets !
L’ethnologue était sidéré. Ces gens étaient les plus démunis qu’il lui ait été donné de rencontrer et pourtant rien ne semblait les émouvoir. Ils n’étaient ni joyeux, ni craintifs, ni hostiles, ils paraissaient indifférents. Ce n’était pas une indifférence égoïste comme celle que l’on croise dans nos grandes villes mais un détachement absolu !
Le patriarche regarda Alban et posa sa main sur sa poitrine.
Jörl !
L’ethnologue imita le geste et dit.
Alban ! moi venir ramener enfants à vous .
L’ethnologue mélangeait les idiomes amazoniens qu’il connaissait en guettant sur le visage de son interlocuteur un signe de compréhension mais celui ci était d’une impassibilité totale.
Le village se trouvait en bordure d’une rivière aux eaux sombres. Alban se tenait immobile et commençait à s’impatienter, les pieds dans le sable et la main sur le cœur. Soudain un bruit d’éclaboussures le fit sursauter. Il se tourna vers le cours d’eau et se tétanisa. Un énorme caïman jaillissait dans sa direction la gueule grande ouverte. Dans les iris jaunes du saurien, il vit la mort. Pétrifié par la peur, il retint son souffle et ferma les yeux.
Rien ne se passa, alors Alban rouvrit doucement les paupières, l’animal s’enfuyait en se dandinant lourdement.
L’ethnologue regarda Jörl, le vieil indien souriait. Il dit d’une voix rauque, en cherchant ses mots.
Toi, pas peur !
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A la tombée de la nuit, une petite fête fut improvisée en l’honneur du retour des jeunes femmes. Dans le grand carbet l’alcool de palme coulait à flots. L’ethnologue retrouvait les sensations de ses précédents voyages, mais quelque chose sonnait faux et il ne savait pas quoi. Soudain Jörl se leva et s’approcha d’Alban.
Toi venir.
La nuit approchait, des parfums inconnus s’élevaient de la forêt. Le scientifique se leva et suivit le patriarche indien. Ils marchèrent ainsi de longues minutes le long de la rivière. Alban repensait à l’attaque du saurien et il ne pouvait s’empêcher d’être inquiet. Il jetait des regards furtifs vers la surface sombre de l’eau.
Le vieil homme tenait Alban par la main. Une pensée légère comme une brise marine vint caresser l’esprit de l’ethnologue. Il se raidit, surpris, puis il ouvrit son âme acceptant le délicat effleurement de ses pensées les plus intimes.
Je savais que tu pouvais y arriver.
Qui me parle ?
C’était une pensée télépathique d’une limpidité absolue.
Qui veux tu que ce soit, nous ne sommes que deux ici.
Alban tourna un visage plein de surprise vers le vieil homme.
Toi ! Jörl ...
Oui moi Jörl. C’est plus facile de s’exprimer comme ça qu’avec les borborygmes infâmes produits par nos larynx et nos glottes !
Attends, tu veux me dire qu’entre vous vous exprimez toujours comme ça ?
Un rire léger retentit sous son crâne.
Oui bien sûr ! tu nous prenais vraiment pour des idiots ?
Mets toi à ma place ! vous n’utilisez que quelques mots, vous ne savez pas compter, vous ne différenciez pas les couleurs ... vous en savez moins que nos animaux savants.
De nouveau un rire léger.
Alban, les animaux échangent des informations en se reniflant le derrière, sommes nous moins évolués parce que nous avons oublié cette forme de langage ?
L’ethnologue sourit mais il restait perplexe.
Les nombres ! vous ne savez pas calculer.
A quoi sert de savoir compter ?
Ça sert à tout ! tout le temps ! combien il reste de flèches dans un carquois, combien d’hommes dans une troupe, combien de jours avant la prochaine lune ...
Tu n’as pas besoin de savoir combien il te reste de flèches dans ton carquois, tu dois simplement savoir si pour chacune de tes cibles tu as une flèche ...
Donc connaître le nombre de tes cibles !
Non ! Ce n’est pas la flèche qui définit la cible c’est toi. Et puis nous n’avons pas besoin de flèche, comment crois tu que j’ai chassé le caïman ?
C’est toi qui a chassé le caïman ? Comment as tu fait ?
Je lui ai envoyé une sensation de plaisir et de satiété ...
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Alban fouillait dans ses poches. Il en sortit une pomme et quelques noix.
Regardes Jörl, j’ai une pomme et sept noix. Avec ça je peux faire deux repas et tenir deux jours si je fais attention. J’ai besoin de quantifier pour prévoir. Et prévoir, c’est ce qui me différencie de l’animal.
Le vieil homme sourit.
Pourquoi te nourris tu Alban ?
Parce que c’est nécessaire à la vie.
Tu puises dans ces aliments l’énergie dont tu as besoin pour marcher, pour penser... mais nous baignons en permanence dans l’énergie. Si tu en as besoin il suffit de la prendre.
En disant cela il tendit les bras vers le ciel les mains ouvertes, paumes vers le haut. Une lumière bleutée apparut entre ses doigts avant de se répandre le long de ses avant-bras et disparaître, absorbée pas la peau.
Tu vois Alban, je viens de faire mon plein d’énergie pour la journée.
Il tendit la main et les fruits se déplacèrent lentement, en apesanteur, pour venir se nicher au creux des siennes. Puis elles s’élevèrent doucement à hauteur de ses yeux et se mirent à tourner sur elles mêmes. Il émit une pensée pleine de mélancolie.
Remarque c’est joli les noix !
L’ethnologue n’arrivait pas à imaginer que ce peuple, si primitif, si pauvre, si ... pitoyable ! puisse être en réalité plus sage que les plus sages. Il se raccrocha comme un enfant à ses dernières certitudes.
Vous ne portez pas de vêtement.
Pas besoin ! tu portes quelque chose pour te protéger du froid ou du chaud. Moi, si j’ai froid aux pieds j’élève la température des pieds. Si je veux du feu je le fais.
Une flamme venait d’apparaître à l’extrémité d’une branche d’arbre.
Si je veux du vent je le crée.
Un souffle léger fit voler ses longs cheveux noirs. Alban eut un petit mouvement de recul.
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Le scientifique réprimait difficilement des tremblements.
Vous n’êtes pas humains !
Oh si nous sommes humains Alban... nous sommes aussi humains que toi ! mais nous, nous n’avons pas accepté de nous soumettre. Nous avons préféré nous enfuir ... nous espérions pouvoir retourner chez nous un jour mais vous nous avez trouvés !
Je ne comprends pas Jörl !
Il faut que tu saches la véritable histoire des hommes, Alban. Autrefois il y avait trois races qui se partageaient les différents plans de l’univers : les anges, les démons et les humains.
Alban hocha la tête, Jörl continua.
Cette société fonctionnait harmonieusement, chacun tenant un rôle précis. Les anges étaient ce que vous appelez des mages ou des prêtres, les démons étaient des guerriers et les hommes des créateurs, des artistes. Les anges étudiaient et s’adonnaient aux jeux de l’esprit, les guerriers s’affrontaient en joutes physiques et les humains créaient des sculptures, des musiques, des poèmes. Parmi les humains, naquirent un frère et une sœur, des jumeaux, qui n’arrivaient pas à s’exprimer au travers de la création. Eve, la fille, était attirée par les jeux de l’esprit alors qu’Adam, le garçon voulait affronter les démons dans leurs joutes. Anges et démons n’acceptèrent pas que des humains cherchent à empiéter sur leurs domaines d’action et ils emprisonnèrent les deux fous dans un plan astral inaccessible aux autres humains.
Alban interrompit la pensée du vieil homme.
Comment pouvait il être inaccessible aux humains, puisqu’ils avaient tous les mêmes pouvoirs ?
Les anges avaient prononcé les incantations qui en interdisaient l’accès. Lorsque les humains apprirent ce qui était arrivé à deux des leurs, une guerre se déclencha. Comme toujours, dans ces cas là, actions et représailles se succédèrent, plus violentes, plus sauvages ... jusqu’à la défaite des humains.
Ça n’explique pas pourquoi vous avez des pouvoirs que n’ont pas les autres hommes.
Une pensée amusée effleura l’esprit du scientifique.
Je n’ai pas fini... Les humains furent parqués sur Terre, là où avaient été enfermés Eve et Adam. Ils furent rassemblés, et les anges prononcèrent les incantations nécessaires pour limiter leurs pouvoirs puis ils furent relâchés dans la nature. Les anges bloquèrent leurs esprits et ne leur laissèrent que les facultés des animaux. Aujourd’hui les humains, comme toi, n’utilisent plus qu’une toute petite partie de leurs cerveaux.
Alban tremblait. Sa voix chevrotait quand il dit.
Nous pourrions retrouver ces pouvoirs ?
Oui bien sûr ! enfin peut être ...
L’ethnologue était perdu dans ses pensées. Il murmura.
Et vous dans tout ça ?
A l’arrivée sur terre, au moment où Anges et Démons nous parquaient, il y eut une dernière révolte. Nous formions un petit groupe et nous avons eu la chance de pouvoir nous échapper juste avant que les mages ne commencent leurs incantations. Nous nous sommes terrés à l’écart pendant des milliers d’années. Ils avaient oublié notre existence...
Pourquoi dis tu « avaient » ?
Depuis que tu nous as retrouvés, ils savent que nous existons !
Tu veux dire qu’à cause de moi, vous allez avoir des problèmes ?
Je le crains, où plutôt, je le sais ... mais ne soit pas désolé, c’était écrit !
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L’ethnologue était dans un état de confusion absolu. Il murmura.
Vous êtes immortels ?
Oui !
Pourquoi ne le sommes nous pas.
Les anges ont asservi vos esprits, les démons vous ont offert la mort !
Comment ça ?
La mort n’est pas une disparition. L’homme est immortel, mais il voyage d’enveloppes corporelles en enveloppes corporelles. Anges et démons utilisent cette faculté pour se lancer des défis. C’est une sorte de joute. Ils appellent ça le « grand jeu » !
Ils jouent avec nos vies !
Ils prétendent que, puisque les humains ont voulu leur ressembler, ils leur offrent la possibilité de les rejoindre. C’est une partie d’échecs, avec ses règles, ses spectateurs et à la fin, bien sûr, un vainqueur.
La pensée du vieil homme paraissait nostalgique. Il continua.
Les règles, définies lors de la création sont simples : avant la naissance d’un humain, un ange et un démon sont désignés pour « le grand jeu ». Les deux joueurs définissent chacun trois "qualités" qu’ils attribueront au nourrisson
Alban pensa aux contes de son enfance dans lesquels les fées se penchaient sur les berceaux des princesses. Peut être était ce des réminiscences de ses règles !
Tout au long de la vie de l’humain, les deux joueurs cherchent à le faire pencher d’un côté ou de l’autre. Le vainqueur est celui qui l’aura fait basculer dans son camp.
Mais pourquoi ? ça intéresse qui ?
La pensée de l’ethnologue était désespérée.
La partie est suivie par l’ensemble de la communauté et par un collège d’arbitres chargé de contrôler le respect des règles et le fair-play des joueurs. Lorsque l’issue n’est pas flagrante ce même collège, au cours du fameux "jugement dernier", attribue la victoire à l’un ou l’autre camps. Le vainqueur reçoit alors l’âme du défunt qu’il peut, soit intégrer à sa propre équipe s’il juge qu’elle a les qualités requises, soit remettre en jeu pour une nouvelle naissance, et donc une nouvelle partie.
Nous autres humains sommes donc, à jamais, les jouets des anges et des démons ?
J’en ai bien peur ... à moins que vous ne trouviez une solution pour libérer vos cerveaux des charmes et que vous n’inventiez le moyen de vaincre la mort !
Ce plan astral sur lequel nous sommes bloqués c’est la Terre ?
Non, c’est bien plus vaste ... C’est l’univers !
Jörl regarda soudain autour de lui l’air inquiet. Alban demanda.
Que t’arrive t’il ?
Je ressens une perturbation de l’espace-temps. Ils rôdent dans les parages.
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Azraoth se tenait à l’avant d’une barque en aluminium à fond plat. Il avait revêtu un pantalon et une chemise de coton blanc, et portait un panama qui cachait son regard sombre. Il fumait un cigarillo en tirant de longues bouffées qu’il recrachait avec lenteur. Il se tourna vers les cinq garimpeiros qui parlaient forts, en éclusant bière sur bière, et en serrant leurs armes automatiques contre eux.
Nous arrivons bientôt. Vous savez ce que vous avez à faire ?
Quatre têtes se secouèrent lentement. Le cinquième faisait grise mine. Azraoth l’apostropha.
Toi, t’as pas compris ?
Ce dernier leva un regard torve vers le démon.
On peut pas garder une ou deux filles pour le retour ?
Azraoth émit un grondement sourd et profond qui rappelait celui du jaguar. Le garimpeiro se tassa sur son banc.
J’ai rien dit ! - il tremblait - non j’ai rien dit ...
A l’arrière de l’embarcation Gabriel, l’ange, répétait ses incantations en regardant défiler le mur végétal qui s’élevait de part et d’autre de la petite rivière.
Vêtu d’un costume de brousse, il lançait, de temps à autres, une phrase aux intonations complexes, qui était généralement suivie de feulements de terreur ou de souffrance.
Azraoth reprit.
Je répète pour ceux qui auraient des doutes ou des états d’âme. Lorsque nous débarquerons, nous attendrons la nuit. Vous vous placerez derrière monsieur Gabriel qui conduira l’expédition. En vue des cases, il prononcera une formule magique.
Les cinq hommes ne manifestèrent aucune surprise. Chez ces êtres frustres la magie était aussi naturelle que la violence, la soif ou le sommeil.
Lorsqu’il aura prononcé la formule, alors seulement vous pourrez nettoyer le village...
Azraoth fixa le garimpeiro qui lui avait tenu tête.
Et pour notre ami, qui a un peu de mal à comprendre, je répète : il ne doit rester aucun survivant.
La sentence définitive qui scellait le sort du dernier peuple premier n’amena pas de commentaire.