Une belle matinée s’étire calmement sur Savigny-sur-Orge.L’air est encore
frais et léger,lavé de la nuit précédente.D’entre le béton,dans les bacs et
carrés de terre, réservés à cet usage, s’exposent des fleurs élevées en serre
et plantées hâtivement.Le printemps s’installe par petites touches, dans la
banlieue grise, aidé par les jardiniers municipaux.
" Les vacances enfin ! " pense Maria en compostant son billet de train.Il
lui faudra gagner Paris puis prendre le " vrai " train, celui qui
l’emmenerait vers l’Algarve ancestral. A cette idée un sourire se dessine sur
ses lèvres. Il fait bon, sa jupe danse joyeusement au rythme de sa marche
énergique pour rejoindre l’emplacement de la voiture de tête.
" J’ai la sensation d’être dans une publicité pour déodorant. Quand tout peut
arriver et qu’un homme court sur un quai avec un bouquet de fleur à la main
pour l’offrir à une inconnue " Machinalement, Maria jette un regard derrière
elle. De jeunes garçons en survêtements blancs et casquettes américaines
chahutent dangereusement près de la voie,mais pas d’homme ni de bouquet.Elle
se moque d’elle-même pour s’être laissée prendre à sa propre histoire.
Un homme, mieux :un mari ! Voilà qui enchanterait ses parents qui attendent avec quelques impatiences de devenir grands-parents.
A vingt-sept ans Maria, fille unique, n’a toujours pas convolé contrairement à ses cousines ,restées en Algarve.Elle est pourtant jolie,les traits fins,un peu ronde pour sa taille, elle sait choisir des vêtements qui atténuent cet aspect.Il y a bien eu quelques aventures mais pas un homme n’a trouvé grâce à ses yeux pour qu’elle renonça à son indépendance.
Elle préfére ses sorties entre amis.Sa vie d’interimaire comme secrétaire médicale, parfois quelques extra dans la pizzeria de Taïeb lorsque s’y donne des banquets,lui procuent une certaine aisance.Pourquoi se compliquer la vie avec un homme ?
Maria voyage léger, tout comme ce matin,sur le quai de la gare de Savigny-sur-Orge.
Son grand sac fourre-tout indien, barriolé de couleurs, ne contient que le strict minimum pour se rafraichir et se changer pendant les dix neuf heures qu’elle passera dans le train, un livre :le « Joueur d’Echec » de Zweig,quelques magazines,ses papiers d’identité,un peu d’argent et la clé d’une consigne de la gare Montparnasse.
Soudain, Maria tressaille : A t-elle bien pris la clé ? Le train pointe le bout de son nez dans le virage au moment où elle fouille la pochette intérieure de son sac. Mais oui ! la petite clé plate, que lui a remis son cousin hier soir, est bien présente.
Les portes du train s’ouvrent dans une expiration pneumatique,quelques voyageurs descendent puis Maria se hisse à l’intérieur.A cette heure le wagon est quasi désert. Un journal abandonné, replié sur lui-même, somnole sur une large banquette, attendant qu’un voyageur désoeuvré le tire de sa léthargie et lui redonne vie.
Maria reste debout devant les portes qui se referment dans la sonnerie du départ.L’incident de la clé l’a plongé dans la récapitulation des départs en vacances :fermeture des robinets d’arrivées d’eau et de gaz, des volets, de la mise en baignoire des plantes vertes que la voisine viendra arroser de temps en temps pendant ses deux mois d’absence... « A quoi bon ,de toute façon il est trop tard pour s’inquiéter » pense t-elle.
Le décor banlieusard, trop famillier pour qu’elle y prête attention,défile devant ses yeux.
Le journal ensommeillé s’étire à présent entre les mains d’un homme lui révèlant les secrets de Polichinelle du Monde humain.
Le train s’enfourne dans le tunnel annonçant l’arrivée imminente en Gare d’Austerlitz, la lumière naturelle décroit relayée par celle, artificielle, des lampes plafonnières et des néons.L’explosion lumineuse du quai agresse les yeux de Maria.Le train ralentit puis se fige.
L’homme appui déjà sur le bouton de l’ouverture des portes, Maria ne s’est pas aperçu qu’il avait quitté sa place.Le journal a disparu de dessus la banquette.
Pschhhhhhh ! le bruit de la station pénètre dans le wagon pendant que l’homme en descend.
Maria reste seule,elle ne descendra qu’à Saint-Michel,la station suivante.
Sonnerie.Fermeture des portes.Le train replonge dans la pénombre du dédale souterrain parisien.
« Saint-Michel.Enfin ! »
Le quai est encore humide des détergents matinaux.
Maria allonge le pas dans un réflexe pavlovien et fonce en direction du panneau « metro »
Reproduction mécanique de la course vers le travail.
« Bon sang, mais c’est pas vrai ! Calmes toi ! s’ordonne t-elle,c’est les vacances ! »
Des gens la regardent, amusés, méfiants ou perplexes. Elle a exprimé son agacement contre elle-même à haute voix et s’en rend compte à présent.
Moment de solitude teinté de rouge aux joues.
Elle accélère le pas pour échapper aux regards, en se traitant d’imbécile...silencieusement cette fois.
Les accords étouffés d’une guitare tentent de percer le brouhaha.
Elle se réfugie dans une rame de métro.
« Cinq stations encore, avant d’arriver devant les portes du Paradis »
La gare Montparnasse, le portail qui lui dévoilera le chemin béni vers l’ Algarve.
La rame se traine... aussi lamentablement qu’un ordinateur à la mémoire insuffisante au moment du téléchargement d’une page internet, constate Maria.
Les gens s’observent évitant soigneusement de croiser leur regard. Le métro c’est comme un ascenceur à l’horizontal.
Gare Montparnasse.Les longs couloirs de tapis roulants pour rejoindre la « vraie » gare. Un groupe de musiciens fraudeurs répercutent le rythme de ses tam-tam sur les murs de néons. Maria croise des bustes pétrifiés, de leurs yeux ils fixent la fin du tapis roulant qui les rendra à la vie et aux mouvements humains, la fin du règne sordide de la machine.
Maria étouffe. Elle s’extrait rapidemment du monde souterrain et se retrouve dans la rue,sous le grand soleil parisien de onze heure du matin.
Elle décide de s’installer à la terrasse exigue d’une brasserie de la rue du Départ, prendre un café,reprendre une contenance.Son train ne part que dans une heure, elle a le temps. Elle s’apaise en observant le flux des voitures,les piétons,l’activité humaine et les bruit qu’elle engendre. Le garçon prend sa commande,revient quelques instants plus tard et présente l’addition.Maria glisse sa main dans la pochette intérieur de son sac,en ressort quelques pièces de monnaies et la clé de la consigne.
La clé !
Elle avait complètement oublié la consigne.
Maria paye le garçon, boit son café, ramasse ses affaires et regagne l’entrée en arche de verre et de métal de la gare.
Elle a un moment d’hésitation dans le grand hall, le temps de trouver le panneau indiquant la direction des consignes.Les rangées de coffres métalique apparaissent, Maria repère le numéro de l’un d’eux, y insère la clé. La porte s’ouvre. La jeune femme extrait une boite à chaussure soigneusement emballée et ficelée accompagnée d’une enveloppe à son nom. Tant bien que mal,elle range le tout dans son grand sac de tissu multicolore « la lecture ce sera pour plus tard,dans le train » décide t-elle en regardant sa montre.Son train part dans vingt cinq minutes et il est temps de se rapprocher du quai.
Maria scrute à présent le tableau des trains au départ puis, se dirige vers le quai correspondant au sien.
Le train est à quai.Maria se détend,esquisse un sourire « L’Algarve,le village sur les hauteurs avec vue sur Faro et la mer,ses parents...bientôt »
Un jeune homme se présente devant elle un peu embarrassé : « vous pourriez surveiller mon colis pendant que je trouve un chariot pour le transporter ? »
« Pardon ? » , demande Maria ,interrompue dans sa rêverie par l’irruption du jeune homme.
Le jeune homme reprend avec de plus amples explications : « Le carton a cédé, dit-il en désignant un colis volumineux et éventré ; mais heureusement il n’y a pas eu de casse.Pourriez-vous le surveiller pendant que je vais rapidement chercher un chariot, s’il vous plait ? »
Maria est embarrassée et puis accepte de lui rendre ce service après tout son train est à dix mètres et il reste quinze minutes avant le départ. « Tenez »,dit le jeune homme,en lui remettant un boitier noir avant de disparaître en courant.
Maria s’approche du paquet mal en point dans lequel trône un vieux téléviseur avec magnétoscope intégré. Elle attends le retour du jeune homme.Les minutes s’écoulent.Cinq puis dix.Le jeune homme tarde.Maria se crispe,serre le boitier un peu plus fort dans sa main.
Soudain, Maria tressaille : A t-elle bien pris la clé ? Le train pointe le bout de son nez dans le virage au moment où elle fouille la pochette intérieure de son sac. Mais oui ! la petite clé plate, que lui a remis son cousin hier soir, est bien présente.
Les portes du train s’ouvrent dans une expiration pneumatique,quelques voyageurs descendent puis Maria se hisse à l’intérieur.A cette heure le wagon est quasi désert. Un journal abandonné, replié sur lui-même, somnole sur une large banquette, attendant qu’un voyageur désoeuvré le tire de sa léthargie et lui redonne vie.
Maria reste debout devant les portes qui se referment dans la sonnerie du départ.
« Qu’est ce que je fais là ? que s’est-il passé ? » Le train s’éloigne de la gare de Savigny-sur-Orge.Maria ne comprends plus.Il y a quelques instants elle était près de son train de l’Algarve,gare Montparnasse,attendant le retour d’un jeune homme.Il lui a semblé avoir un étourdissement une fraction de seconde,mais rien qui puisse expliquer sa présence dans ce train de banlieue.
Elle est terrassée, porte à son front sa main refermée sur un objet.
« Non, je n’ai pas rêvé, cette télécommande en est la preuve »