" C’était une fille intemporelle, légèrement décalée. C’est ce qu’on disait d’elle mais moi qui l’a connaissais, pourrais vous dire que ce n’était pas légèrement mais complêtement décalée. Ne voyez pas chez moi un sujet prompt à la critique loin s’en faut... Je l’aimais trop pour cela...
Ce n’est pas par ses vétements passe-muraille qu’on pourrait la définir, quoique quelques fois elle mette des tenues extravagantes. Ce n’est pas non plus par son maquillage, non, elle n’en utilise pas pas plus que de bijoux. Elle est naturelle sans recherche d’éclats artificiels... Je suis persuadée que son décalage vient de tout cela, à moins que cela ne vienne seulement dans sa façon d’être ; réservée mais non timide, elle va au devant des autres avec simplicité, le sourire aux lêvres et un mot gentil pour tous. Elle croit naïvement que tout le monde lui ressemble. A mi chemin entre hier et demain, sachant qu’aujourd’hui n’existe pas. Toujours assise entre deux chaises, situation bien inconfortable à ses yeux, elle ne trouve jamais sa place nulle part, pourtant elle rêve d’une vie tranquille. Elle parle facilement de foot ou d’histoire selon ses interlocuteurs, mettant son grain de folie ou de moquerie gentille dans les conversations. Elle aime tout le monde sans détour, sans arrière pensée et donne à chacun la petite faveur que tous recherchent en vain. Elle court tout le temps bien que ses gestes soient ralentis par je ne sais quel handicap, connu d’elle seule. Incapable de lier correctement ses mouvements, elle semble désarticulée. Une poupée de chiffon cette fille ? Sûrement pas, elle est trop entière pour cela. Elle crie contre l’injustice, les misères du monde et ses colères sont capables de tout casser aux alentours. Elle a déjà brisé les verres, les assiettes, les statues de boudha, son grand ennemi sage. Elle ne l’est pas, elle ne l’a jamais été... sage, plus les années passent, moins elle l’est. Un jour, elle s’est mise en colère contre les politiciens qui font des promesses de justice pour tous, elle sait qu’ils ne les tiendront jamais. Submergée par une rage sans nom, elle a jeté par la fenêtre tout ce qui se trouvait devant elle, Les cuillères, les couteaux, les statuettes, les toiles, ses livres, les réveils et la pendule au dessus de la cheminée. Fatiguée par tant d’énergie,elle s’est calmée et s’est couchée, laissant aux autres le soin de tout récupérer. Ce qui fut fait pour la plupart des objets mais la pendule cassée ou dérobée, on ne la retrouva malheureusement pas. Réveillée, de très bonne humeur, elle ne se souvenait plus de sa folie passagère ni des dégats occasionnés. La seule chose qu’elle remarquat, fut l’absence de certains objets. Elle demanda des explications, on les lui donna mais comment lui expliquer que la pendule avait disparu à jamais ?