En prenant la piste de Mopti, à la sortie de Bobo-Dioulasso, on se retrouve très rapidement sur une portion de « goudron » troué (actuellement en cours de réfection).
Koudoungou, gros village intéressant pour sa jolie mosquée et son marché animé en permanence, se trouve à une cinquantaine de kilomètres. Jusqu’à cet endroit, pas grand chose de remarquable si ce n’est la vallée de Kou transformée en une immense rizière qui semble assurer une certaine richesse à la région si l’on se réfère aux localités traversées.
Apres Koudoungou, environ cinq kilomètres de trous entourés de bitume avant de trouver sur la gauche la piste de N’ Dorola (petit panneau en bois indiquant : 46km)
Ce n’est pas le « Dakar », ni en distance ni en difficultés, mais c’est quand même une bonne heure, et parfois bien plus, d’obstacles de toutes natures ou la vitesse maxi ne dépasse pas 40 à l’heure ce qui permet aux heureux passagers d’admirer le paysage très vallonné et encore verdoyant en cette fin de saison des pluies. Par contre très peu de faune si ce n’est parfois quelques singes aperçus d’assez loin et non identifiés.
Cette région ne semble pas très peuplée mais la piste traverse cependant quelques hameaux ou le passage d’une voiture, de surcroît occupée par des Blancs, est quand même l’événement de la journée. En effet cet « axe » ne mène nulle part si ce n’est à N ’Dorola, véritable cul de sac avant la frontière du Mali située à environ trente kilomètres mais sans piste praticable durant la plus grande partie de l’année.
Chaque Dimanche se tient le marché de N’ Dorola qui attire, outre les populations locales, un certain nombre de commerçants en provenance de Bobo ou d’autres lieux dits « civilisés ». Les marchandises hétéroclites sont amenées à pied d’œuvre au moyen de véhicules les plus divers parmi lesquels les indestructibles « bâchées », les Peugeot 404.
En effet, au Burkina, ces ancêtres de la célèbre marque de Sochaux résistent très bien au ras de marée des « japonaises » qui dans la majorité des pays africains ont déjà gagné la partie.
A ce sujet beaucoup d’autres que moi ont du se poser la même question :
pourquoi aucun constructeur automobile français, et en particulier Peugeot qui était si bien implanté, ne s’est intéressé depuis plus de vingt ans à ce marché africain de petits véhicules utilitaires ? On trouve bien sûr quelques « 504 » voire « 505 », en général fabriquées au Nigeria avec tout ce que ce label implique (en particulier depuis quelques années), mais çà ne correspond pas à ce qu’attend l’utilisateur pour qui le Lion de Sochaux était synonyme de robustesse et de longévité. Son cousin de Lagos, bien que né en Afrique (ou peut-être parce que né en Afrique) est d’une santé beaucoup plus fragile, ne supporte pas très bien le climat et semble avoir une espérance de vie très courte....
Ceci est bien dommage pour l’image de la France dans cette partie du monde, pour son industrie automobile mais aussi pour tous ces possesseurs de 404 qui ne retrouveront jamais un véhicule équivalent parmi les autres marques étrangères. En conclusion, d’ici quelques années, c’est un nouveau pan de la présence française qui aura disparu de l’Afrique francophone pour des raisons difficiles à comprendre.
Revenons sur notre piste et traversons le village de Kourouma, dernière agglomération d’une certaine importance avant le terme du voyage. Encore quelques kilomètres et on atteint la bifurcation de Banfora et le contrôle de police avant N’ Dorola. Au Burkina les relations avec les forces de l’ordre sont en général très courtoises, à condition bien entendu de ne pas se croire en pays conquis et d’être en règle vis à vis de la loi.
Après une dizaine de minutes d’ancienne route datant de l’époque coloniale, reconnaissable à la partie centrale encore pavée mais bordée d’énormes trous beaucoup plus récents, la nouvelle usine d’égrenage de coton graine de N’ Dorola se dresse sur la gauche dans un quadrilatère d’environ cinq cents mètres de coté déjà ceinturé de murs hérissés de barbelés.
De jour cet ensemble industriel planté en pleine brousse pourrait surprendre l’éventuel touriste occidental mais cela ne risque pas d’arriver car ne viennent jusqu’ici que les Européens dont la mission est justement de monter l’usine et lancer la production. Par la suite, cette nouvelle unité sera gérée et exploitée par les cadres et techniciens burkinabés.
Quand on arrive de nuit, après avoir traversé tous ces villages qui n’ont pratiquement pas changé depuis des siècles, ou les seules lueurs trouant l’ obscurité proviennent de quelques lampes à pétrole (quand le précieux liquide ne manque pas !), la débauche de lumière éclairant la cour d’usine a quelque chose d’anachronique et de choquant à la fois mais pourtant tout cela est parfaitement logique pour quelqu’un d’initié ; l’usine est alimentée en énergie par sa propre centrale électrique (1200 kVa), suffisante mais sans plus. L’extension du réseau–usine vers un village voisin a été tentée sous d’autres cieux et cela partait d’un bon sentiment...
Malheureusement les branchements sauvages ont rapidement vu le jour jusqu’à... disjonction complète des installations techniques avec tout ce que cela entraîne comme désagréments.
A l’extérieur du site, accolé à la clôture principale et pratiquement en bordure de piste, se trouve la zone vie composée de cinq « boukarous » qui sont occupés tour à tour, en fonction des besoins, par les monteurs, les éventuels dépanneurs et les passagers de marque ; ces boukarous sont construits sur le modèle des cases locales à la différence près que ces dernières ne bénéficient pas des mêmes matériaux ni du même confort : torchis et terre battue pour les unes, parpaings , carrelage, isolation et climatisation pour les autres, le tout agrémenté d’un coin toilette avec lavabo, douche et w.-c... Quatre de ces cases modernes sont équipées de cette façon, la dernière servant de cuisine, salle à manger et salon
Je reviendrai plus tard sur l’usine proprement dite mais auparavant je vous invite à m’accompagner jusqu’à la « ville » de N’Dorola puisqu’elle est répertoriée comme telle dans la liste officielle des communes du Burkina
Encore un poste de police à franchir (en deux mois et demi de présence je n’ai jamais été contrôlé ce qui n’était pas le cas au Tchad et plus encore au Cameroun ou j’y avais droit pratiquement tous les jours) et les premiers bâtiments publics apparaissent de part et d’autre de la piste bordée de manguiers, avec à droite la poste, la préfecture en face, deux édifices qui auraient bien besoin d’un sérieux « lifting ». La Poste fonctionne normalement mais, pour information, le téléphone se trouve à la préfecture....
Vient ensuite l’hôpital que, bien involontairement, j’ai testé suite à un ongle arraché à la main gauche. Faute de médecin, absent pour cause de formation à Bobo, j’ai été très bien soigné par l’infirmier major qui, s’excusant pour le manque d’anesthésie, m’a proprement découpé les derniers lambeaux de chair qui retenaient encore l’objet de ma visite avant de se servir de mon pouce gauche comme support pour fabriquer une magnifique poupée que j’ai quand même traînée plus d’un mois.
Un peu plus loin sur la droite se trouve l’école composée de quelques bâtiments en dur ; compte tenu du nombre d’élèves que j’ai aperçu plusieurs fois dans la cour, la scolarisation a l’air importante dans le secteur primaire et c’est certainement un atout supplémentaire pour l’avenir du Burkina.
Nous arrivons enfin à l’entrée du village ou toutes les constructions sont en poto-poto, c’est à dire en boue séchée récupérée dans la mare que nous avons appelée « Oued Merda » et qui est recouverte d’une pellicule verdâtre peu appétissante. Trois baobabs ont élu domicile à proximité du point d’eau et doivent être les seuls bénéficiaires de cette humidité permanente mais nauséabonde et certainement source (si l’on peut dire) de maladies.
Enfin la rue principale de N’Dorola s’ouvre devant nous ! Imaginez une portion de piste d’environ cent mètres de long bordée de part et d’autre de magasins « façon -manière Africaine » comme on dit ici, c’est à dire étals de toutes sortes, brinquebalants et recouverts de tôles ondulées. On y trouve un peu de tout : ça va des cigarettes vendues à la pièce jusqu’à la boite de sardines à la tomate en passant par le paquet de Kleenex, sans oublier les inévitables cubes Maggi consommés dans toute l’Afrique. Plus loin le « café du Square » fait aussi restaurant et on peut y manger pour deux cents francs C.F.A ou boire une bière (température cageot bien entendu). Je n’oublie pas la station-service reconnaissable aux trois fûts représentant. en général sa seule réserve pour les trois produits essentiels à savoir l’essence, le gas-oil et le pétrole. Juste derrière ces échoppes commence le marché qui se compose d’une multitude d’emplacements couverts de « seccos » c’est à dire de paille séchée et tressée pour former des nattes protégeant aussi bien de la pluie que du soleil .Le reste du village est bâti de part et d’autre de la rue principale, formant des ruelles et des cours au gré des constructions qui se sont succédées au fil des années en fonction des nouveaux arrivants et de l’évolution des familles les greniers à mil et à maïs sont à proximité des cases, et si pour ces dernières la tôle ondulée a souvent remplacée le chaume (ce qui à mon avis n’est pas un progrès), la brique de poto-poto est restée l’élément de base de toutes ces constructions. Dans le sud tchadien, et en particulier à Moundou, les briques cuites sont de plus en plus utilisées pour la construction des habitations ce qui évite à chaque saison des pluies de retrouver sa case détruite... Le problème est toujours le même, la brique cuite coûte plus cher et « il n’y a pas l’argent ».
A la sortie du village, un peu en retrait de la piste se trouve la mission catholique dirigée par un prêtre espagnol qui est dans la région depuis 1965 ! Il est secondé par quatre Sœurs européennes dont une italienne que j’ai eu l’occasion de rencontrer ; leur présence était motivée, il y a encore quelques années, par la conversion du plus grand nombre et l’objectif était donc d’amener au catholicisme toutes ces brebis égarées avant qu’elles ne soient récupérées par la concurrence, c’est à dire par la mission protestante (en général des Américains très présents dans toute l’Afrique). N’Dorola ne déroge d’ailleurs pas à la règle et abrite également ses Evangélistes dont je vous parlerai plus loin. Aujourd’hui ces établissements religieux jouent un rôle important auprès des populations, que ça soit sur le plan scolaire, sanitaire ou même éducatif vis à vis des adultes et je connais personnellement des jeunes musulmans qui se rendent régulièrement à la mission catholique ce qui prouve qu’il n’y a aucune discrimination de la part des responsables. Ce que j’ai constaté dans ce petit coin d’Afrique ne fait sans doute pas loi pour le reste du continent mais il fallait quand même le dire....
Je n’ai pas eu l’occasion de rencontrer les pasteurs protestants mais je sais qu’il y avait deux familles américaines installées très sommairement (ni eau, ni électricité, ni bien sûr climatisation) ; les premiers étaient là depuis treize ans avec trois enfants nés au Burkina et à priori prêchaient surtout la bonne parole, quant aux seconds, arrivés depuis « seulement » trois ans ,ils avaient entrepris une traduction de la bible en Dioula, dialecte parlé dans la région. Ces derniers, logés à la même enseigne que leurs collègues, possédaient quand même un ordinateur alimenté par panneau solaire, traitement de texte oblige !
Ceci ne fait que confirmer ce que j’avais découvert avec stupéfaction à Kutu (sud du Tchad) : le mode de vie très spartiate des pasteurs américains en Afrique.
A la sortie du village on retrouve la piste qui ne mène en fait nulle part si ce n’est à un ancien barrage construit à l’époque coloniale. Cet ouvrage d’art d’une dizaine de mètres de long est situé sur un petit cours d’eau et permettait (quand il était en état, ce qui n’est plus le cas) d’arroser les cultures durant la saison sèche.
Le décor étant planté je peux maintenant vous parler des acteurs, c’est à dire des habitants de la région et surtout des hommes qui nous ont permis par leur travail de livrer l’usine dans les délais prévus. Ce chantier était international car on y trouvait un Sénégalais, un Togolais, un Libanais plusieurs Maliens... sans oublier les trois Français, mais le gros ouvrage, que ce soit en Génie civil, en montage mécanique proprement dit ou en travaux divers est quand même l’œuvre des Burkinabés et plus particulièrement des habitants de la région de N ’Dorola.
J’ai travaillé avec une équipe de manœuvres dans des conditions très difficiles : déchargement et chargement de conteneurs maritimes en plein soleil, avec des moyens de levage inexistants pour des fardeaux pesant souvent plusieurs centaines de kilos ou montage de certains éléments mécaniques dans l’usine dans des conditions de sécurité que l’on ne peut pas imaginer en Europe sans entrer dans les détails j’avoue avoir plusieurs fois détourner le regard pour ne pas voir un soudeur à l’ arc en plein travail avec les pieds dans l’eau ou tel autre se balader à douze mètres de haut sur une poutrelle métallique sans harnais... Que fallait-il faire ?
Chaque jour de retard représentait une perte sèche de un million de francs correspondant au coton non égrené que l’on serait obligé de brûler en fin de campagne. Je crois qu’il fallait continuer comme nous l’avons fait avec les moyens du bord sachant qu’en Afrique les conditions de travail sont toujours aléatoires ne serait-ce du fait de l’isolement et du manque de matériel existant sur place. Par chance nous n’avons pas eu à déplorer d’accident grave, le pire ayant été mon ongle arraché ce qui n’avait aucun rapport avec la quasi inexistence du matériel de sécurité resté par erreur sur les quais du Havre...
Voilà le village du bout du monde où j’ai participé, en 96, au montage d’une usine d’égrenage avant de revenir, deux ans plus tard, au Pays des Hommes Intègres monter une seconde usine à Houndé mais ceci est une autre histoire...
Décembre 97
JCJ