Frêle comme un moineau en hiver, les yeux délavés par tant de pluies et de drames, elle passe chaque soir un peu plus voûtée, serrant sous son bras un maigre sac à main de cuir usé jusqu’à la corde. Son vieux manteau noir semble peser bien lourd sur les fragiles épaules de cette femme au visage flétri comme une pomme fanée.
Dans sa main gauche elle renferme quelques billets froissés et se dirige vers le grand cinéma de la ville. Sans un mot elle tend vers la jeune fille derrière le guichet l’argent si précieusement conservé, en échange celle-ci lui donne un ticket jaune.
A petits pas elle se dirige vers la même salle, vers la même rangée, vers le même siège. Avant de prendre place, elle quitte son manteau et son petit chapeau à voilette et les pose sur le dossier voisin. Ensuite elle s’assied bien droit sur la banquette rouge, le sac posé sur ses genoux et en sort un petit mouchoir de dentelle brodée et un vieux médaillon en or orné d’une photo d’elle et de son mari le jour de leur mariage quelques mois avant la guerre, quelques mois avant l’horreur.
Les publicités de début de séance la laisse de marbre mais quand le générique du film commence, elle frémit troublée et bouleversée. Une petite larme perle et glisse de ses yeux transparents vers la commissure des lèvres où se pose un sourire si tendre.
Dans la pénombre et le silence de la petite pièce elle n’ouvrira plus les yeux, à quoi bon, les mots, les cris, elles les connaît par cœur, c’est sa vie qui défile sur l’écran, les images, elle n’en n’a plus besoin. Elles se promènent si vivantes derrière ses paupières closes. Elle revoit des visages, quelques sourires parfois mais surtout les pleurs, les séparations et cette peur muette qui faisait si mal au ventre, tout est là si présent, si réel.
Quand les lumières se rallument elle se lève dignement, se rhabille et fait glisser la voilette devant ses pauvres yeux rougis de tant de souvenirs. Le petit mouchoir de dentelle est humide et fripé, le temps s’est déposé sur lui comme une feuille morte.
Les petits pas pressés l’entraînent, elle semble presque gaie.
Nul ne l’entend mais un violon aimé l’accompagne encore un peu sur le chemin et c’est pour lui qu’elle reviendra demain.
écrit par Delphine