découragement et je savais qu’elle tentait de maîtriser ses émotions avant de venir me prendre par la main pour me conduire sans un mot dans un foyer d’où les éducateurs feraient tout leur possible pour se débarrasser de moi au plus vite, comme venaient de le faire ma famille d’accueil. Je faisais peur, ma froideur, mon absence de réaction, mon indifférence générale à tout ce qui m’entourait, animal ou humain. Rien ne m’affectait, le bien, le mal étaient des notions absentes de mon registre émotionnel et malgré mon jeune âge, ma seule présence effrayait les enfants et indisposait la plupart des adultes.
J’en ai connu des familles d’accueil. Des, qui dégoulinaient d’amour jusqu’à les rendre répugnants de mièvrerie. Des, qui considéraient que les gosses de l’assistance étaient corvéables à l’envie. D’autres, qui pensaient racheter on ne sait quelles fautes en accomplissant un acte charitable. Ni les coups, ni la douceur n’ont jamais eu de prise sur moi et après un laps de temps variant entre la semaine et l’année pour les plus courageux, tous finissaient par me ramener dans le bureau de l’assistante sociale, avouant par là leur impuissance.
Thérèse sanglotait dans son bureau. Pour elle je représentais l’échec de sa carrière. Pourtant elle en avait connu des petits durs et des rebelles mais tous dans leur agressivité affichée tentaient d’exprimer une souffrance intolérable alors que moi j’étais un bloc de marbre lisse et froid sur lequel rien n’avait de prise.
Je l’entendis soupirer :
Mais qu’est-ce que je vais faire de lui ?
Un raclement de chaise sur le lino usé de son bureau et la voilà devant moi, elle a envie de me dire quelque chose, me sermonner peut-être, mais son regard croise le mien, sa bouche se ferme sur un rictus crispé et elle se contente de me tendre la main, me signifiant ainsi mon retour pour le foyer.
Sans un mot je la suivis ma main gauche dans la sienne et la droite dans la poche de mon bermuda (nous étions en janvier 70), je serrais le trophée sanguinolent enveloppé dans un mouchoir que j’avais emporté en quittant ma famille d’accueil. Ce soir, en se couchant, ils retrouveraient une jolie surprise éventrée sous la couette : leur saleté de cabot qui avait disparu depuis plusieurs jours, à une oreille près.
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