ombres pour qu’elles l’emportent aussi.
Elle vint rapidement déposant son lourd manteau de ténèbres sur les arbres immenses et il commença à neiger, il entendit au loin les hurlements des loups affamés et il sut que les ombres ne reviendraient pas. Il avait compris que toute vie se terrait lorsqu’elles chassaient. Ce soir, la forêt vivait, ne retenait pas son souffle, ce soir elles avaient regagné les limbes où elles s’enfouissaient à l’abri de la colère des hommes.
C’est un vieux bucheron qui le trouva au petit jour, il respirait à peine et son visage était si pâle que l’homme l’avait cru mort. Il l’avait enveloppé dans un vieux châle et l’avait ramené au village. On l’avait installé au coin du feu, une femme lui avait donné une assiette de soupe brûlante et sa mère était venue, prévenue par un voisin. Il l’avait reconnue dans l’encadrement de la porte et il s’était jeté sur elle, implorant son pardon. Entre deux sanglots, il raconta tout : la nuit, la forêt, l’enlèvement de Blanche, les ombres, tout était si confus et embrouillé que personne ne le comprenait. Et, tous tombèrent d’accord, les loups avaient dévoré la petite et lui, tellement choqué était devenu fou.
Les années avaient passé et il l avait grandi en silence, à l’écart des autres enfants. Il était si différent, il passait de longues heures à scruter les taillis, seul, assis sur une grosse pierre et son regard alors semblait se figer et se durcir. Grand et fort, il se chargeait de toutes les rudes besognes qu’on voulait bien lui confier, jamais il ne se rebellait ni ne se plaignait mais quelque chose en lui inspirait la peur. Parfois la petite venait s’assoir à ses côtés, elle interrompait alors le silence qui s’était établi entre eux et lui demandait d’une voix fluette : « dis, qu’est ce que tu vois ? ». Il ne répondait pas et elle glissait sa menotte dans sa grosse main calleuse,