« Alors maintenant écoute-moi bien. Si tu te livres, avec ton passé et ton casier judiciaire, ta réputation et ta fuite, tu vas te retrouver en prison pour longtemps. Et la prison, tu connais, hein ? Ca va te rendre fou. Et nous, tu imagines ce qu’on va devenir, toi sans moi et moi sans toi ? D’ailleurs t’as pas commis de crime, t’avais pas bu, tu roulais pas vite, c’est juste la faute à pas de chance et t’as pas à te sentir coupable. »
Claudio écoute Marie-Ange très attentivement, interloqué et en même temps avec cette admiration, cette fascination qu’il a pour elle depuis le premier jour. Ce n’est pas un faible, c’est un homme qui a trouvé son salut dans cette femme qu’il aime.
Il ne dit rien. Elle poursuit :
« Personne ne t’a vu, même pas le deuxième cycliste, la rayure sur ton pare-choc, c’est rien, des 4X4 il y en a des centaines dans la région : ça peut être n’importe qui. Les gendarmes ne peuvent pas te retrouver. »
Et elle conclut en lui disant : « Si tu te livres, nos vies sont foutues et c’est pas ça qui fera revenir l’autre à la vie »
Il est 9 heures du matin.
La nuit a connu une folle couse pour la vie et contre le temps.
Le cœur à prélever et à transporter dans une glaciaire médicalisée jusqu’au CHU, la mobilisation de l’équipe du chirurgien cardiologue réveillé en pleine nuit, la préparation du bloc opératoire, le transport d’Alexandre dans une ambulance des pompiers de Florac dont le médecin lui a administré un puissant sédatif et le ventile sans cesse …
Alexandre vient d’arriver au CHU de Montpellier, accompagné de Juliette qui ne cesse de lui parler nerveusement.
Nouvelle course pour préparer Alexandre et tout organiser. Le précieux cœur est déjà là, transporté de Mende à Montpellier par un hélicoptère de la protection civile mobilisé in extremis.
A 11 heures, Alexandre, perfusé et étendu sur le chariot d’hôpital sous un drap vert, est conduit rapidement au bloc opératoire : sa vie a rendez-vous avec le cœur d’un autre qui a perdu la sienne. Echange qui ressemble à de la sorcellerie.
A demi inconscient, il perçoit la voix d’une infirmière qui lui dit : « Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer » et ajoute « Vous avez de la chance, votre donneur n’était pas loin » Une voix d’homme rabroue alors l’infirmière en lui disant d’un ton sec : « Taisez-vous ! »
Sept heures plus tard, après son sommeil glacé, le cœur bat à nouveau dans la poitrine d’Alexandre. Miracle de la vie et de la chirurgie.
Avant l’intervention et bien que sous sédatif, il n’avait eu de cesse de demander au chirurgien cardiologue qui l’auscultait : « Qui est le donneur ? »
C’est bien sûr un secret très bien gardé et que personne ne lui révèlera. Déontologie de base pour toute greffe d’organe.
Quelques mois plus tard, il reprend une vie quasi normale. Il recommence même à travailler dans la petite agence immobilière de Florac où il était agent commercial. Mais pour le moment, afin de ne pas trop solliciter son cœur – le sien ? - il ne s’occupe plus des visites d’appartements et maisons. Il travaille dans son bureau sur les dossiers.
Il revit mais une question l’obsède : qui est le donneur ? Ce cœur, dans la poitrine de quel homme a-t-il battu, qui a-t-il aimé ?... Et cette obsession l’éloigne de plus en plus de Juliette alors qu’il sait très bien qu’aimer avec le cœur n’est qu’une image puisque tout se passe dans la pensée et les ressentis. Mais c’est plus fort que lui.
Durant ces mêmes mois, après avoir sombré dans un immense désespoir, Sabine a repris courage avec pour unique raison d’existence la recherche du chauffard qu’elle appelle désormais « l’Assassin », d’autant que l’enquête de la gendarmerie piétine.
Entre Mende et Florac elle suit toutes les pistes possibles, interroge des gens et réfléchit énormément en procédant par élimination. Mais sa conviction ou son intuition est claire : c’est quelqu’un du pays, de la région, pour connaître cette départementale. Elle a même acheté une care IGN détaillée qu’elle a cent fois analysée. Cette petite route qui relie Belsièges à Florac, pour quelle raison une voiture étrangère au pays l’emprunterait-elle, tel un raccourci peu connu, au lieu de prendre la nationale ? Elle s’est aussi mille fois repassée dans sa tête les images de l’accident. La voiture, elle l’a vue sans la regarder et elle s’en maudit. A force, il lui semble que sa mémoire a enregistré à son insu la vision d’un véhicule noir et les gendarmes pensent que les traces sur la route sont celles de pneus plutôt larges, tels ceux d’un 4x4. Elle a donc décidé de rechercher un 4X4 noir de la région.
De leur côté, Claudio et Marie-Ange ont trouvé une maison à Mende et préparent leur déménagement. Ils ont précipité les choses sans trop faire les difficiles, Marie-Ange considérant qu’il fallait qu’ils partent le plus rapidement possible et qu’en changeant de ville Claudio oublierait plus vite car malgré les douce paroles rassurantes et le réconfort sans limite de Marie-Ange, un fantôme se rappelle à lui de temps en temps. Il est parfois réveillé par un cauchemar ou il entend un cri dans la nuit : le sien. Il ne se sent pas vraiment coupable mais comme victime d’une sombre fatalité qui adhère à son existence.
Ronde d’obsessions dans le mouchoir de Florac : Sabine à la recherche de l’Assassin, Alexandre à la recherche de son donneur, Claudio poursuivi par une ombre avec sa Marie-Ange obsédée par leur déménagement. Tous quatre étroitement reliés, sans le savoir, par un disparu.