Catherine rentre du ski le jour à peine tombé, se précipite sur moi, m’enlace, m’embrasse, dit que je lui ai manqué, m’entraîne dans la chambre, ôte ses frusques froides, son fuseau, son collant, sa polaire, ses autres couches de pull, ses dessous. Catherine se colle à moi en frissonnant et me demande aimablement, amoureusement, de la réchauffer. Nous nous glissons vite sous la couette épaisse et elle m’aime tout schuss.Ce soir, elle dit "non merci !" aux fêtards qui tentent de la traîner en traîneau et se blottit contre moi dans le canapé rouge face au feu qui crépite, jette dans l’espace ses lumières tamisées et une chaleur délicieusement infernale. Elle encourage la main qui caresse sa poitrine et m’embrasse souvent. Tout bas, elle me dit qu’elle m’aime. Tout bas, je réponds "moi aussi".Je resterais bien là, sur cette île tropicale, naufragé volontaire, Robinson et Dimanche en torpeur ouatée.- Comment va Denis aujourd’hui ?- Toujours dans la galère !- Quand est-ce que tu vas le sortir de là ?- Il faut qu’il sombre encore.Catherine se redresse.- Ah bon ! Pourquoi ?- Parce que je veux qu’il morfle. Je veux qu’il ait mal. Je veux qu’il souffre, qu’il soit à poil, moralement, intellectuellement, physiquement.- Salaud !Oui, salaud ! Salaud peut-être ? J’aime torturer mes personnages. J’aime les pousser à bout. Denis est un jeune type pris dans une histoire complexe où politique et affaires se croisent et s’entremêlent. Recherché pour meurtre, il se cache dans une Schwartzbald poursuivi par des nervis fascistes et Interpol. Il a peur, il a froid, il est seul, la pluie tombe.- Tu comprends, s’il s’en sort trop vite il n’apprendra rien de la vie.- Ce sont donc les coups durs qui forgent les bons hommes !- Cioran écrit "Celui qui n’a pas souffert n’est pas un être ; Tout au plus est-il un individu"- Pas inintéressant comme concept ! J’aime quand tu cite Cioran une main sur mon nichon !Je me lève, engage un nouveau tronc de chêne jadis centenaire dans la cheminée infernale.- Tu veux boire quelque chose ?- Qu’est-ce que tu propose ?- Cognac ? Sauternes ? Schnaps ?- Sauternes.Je saute comme un cabri ou une soubrette agile. je sers les verres et reviens au plus vite me coller à son corps.- Dis-moi ?- Mmmmm !- Tu en as eu des coups durs, toi ?- Ben ! Comme tout le monde.- Avec les femmes ?- Aussi.- Ah ! Et, à part moi bien sûr - hi ! hi ! hi ! - c’est quoi ta plus mauvaise expérience ?
Sans réfléchir, je dis :- 7 mai 1985- Quoi ?- Natasha Ramorsky- Raconte ...- Nizan avait raison. J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. J’étais encombré comme le périphérique aux heures des hautes pointes, perdu comme un parapluie dans le métro, inconsolable et gai.- Et bien ...J’aurais pu croiser Natasha à Saint-Moritz, La Havane ou La Baule mais c’est chez Pierre, mon pote de CM1, l’ami des récrées réussies puis de toutes les conneries, première clope, première cuite, premier joint, première fille, première ligne, première touze, première gerbe, dernier empereur, Pierre, mon Brésilien mon frère d’arme, mon sherpa Tensing, mon Tintin, mon Obelix, mon troisème oeil, mon troisième homme, mon ange, mon démon, mon Kärcher, ma boîte automatique, mon mécène et mon débiteur, mon dieu et mon disciple, que je la vois pour la première fois. Je l’adore, il m’aime.Pierre descend de ces russes blancs partis avec la caisse et les bijoux dès 1917. Par atavisme, Pierre conduit un taxi, en possède six cent autres et aime la vie bistrot. Dans son salon gigantesque, un samovar colossal et rutilant propose du thé bouillant à de jeunes imbéciles parlant haut riant fort, s’avachissent dans les fauteuils pourpres coussinés de taftas, draguent d’adorables moscovites en concluant des affaires louches et juteuses.Pierre organise des soirées brillantes où le monde se vautre à la lune, s’écrase dans l’apesanteur. S’il est possible d’y partouzer avec élégance, on y discute aussi de politique, de musique, d’art, de littérature, de tropiques, des amis que l’on a, de ceux que l’on aura, des absents, des disparus, de ceux qui reviendront, de ceux qu’on oubliera.Ce soir, Pierre brasse, mixe, mélange, émulsionne, auteurs millionnaires et jeunes écrivains qu’il pense et espère talentueux. Il y a foule.
Je croise des camarades, des connaissances, des amis, quelques femmes qui pourraient être analphabêtes mais en sont pardonnées tant elles sont jolies, des biographes de chanteurs, quelques hommes politiques qui romancent leur parcours, des vedettes avariées qui analysent leur gloire, des drogués repentis qui tutoient leur analyste, des avortées honteuses qui pleurent à gros bouillons, des sportifs castrés incapables de rugir,... l’assemblée pèse quelques millions d’exemplaires vendus, pas moins. On s’embrasse, on discute, on papillonne, on boit, comme d’habitude beaucoup !
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Iron... Hic !
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