A 22h42 ma vessie nécessite une vidange immédiate mais il y a embouteillage monstre devant les toilettes proches de l’entrée. Si tous veulent se soulager, je distingue, aux visages, ceux qui vont se vider, ceux qui vont se remplir, celles qui vont se repoudrer les joues, ceux qui vont se repoudrer le nez.A 22h43, je gravis l’escalier monumental qui mène aux appartements de Pierre, décidé à profiter, une fois n’est pas coutûme, de l’amitié imputrescible qui me lie au maître des lieux, en me soulageant dans ses gogues privés.A 22h44, Natasha Ramorsky, qui, pour une fois, s’est décidée à profiter des privilèges associés à une tendresse résistante héritée de la liaison fugace qu’elle a eu avec Pierre quelques mois plus tôt, s’extirpe, regaillardie, rassérénée, du lieu que je convoite, en poussant violemment la porte. Huilés de frais, les gonds glissent sans frottement. Le battant tourne, librement, aisément, gracieusement, sans bruit, sans frein, obéit aux lois cinétiques, prend de la vitesse et s’écrase sur mon pif dans un grand paf !Puis par réaction d’orgueil et de force, il se précipite sur le front adorable de Natasha et rencontre son crâne bien rempli.C’est notre première rencontre. Un choc !Mon tarin me fait mal et saigne abondamment. De grosses gouttes rouges et atroces maculent ma chemise Kenzo.Natasha chancelle, sonnée, s’appuie et glisse contre le mur, se retrouve accroupie, les jambes emmêlées dans sa jupe Lacroix et expose ses dessous Thomas noirs et brillants.Nous sommes KO, anéantis, bléssés, mi-morts, probablement ridicules. Je me pince le blair pour stopper l’hémorragie, le niagara vermillon qui s’échappe de mes narines douloureuses. Mon agresseuse porte prestement ses mains à son front.- Aie ! Ca fait ...- mal !De ma main libre je palpe le mur, cherchant l’interrupteur du couloir qui, je le sais, doit se cacher pas loin. Clic ! Fiat lux !Ce que je vois, d’abord, c’est l’opulente beauté d’une chevelure qui rappelle l’or dégoulinant sur les épaules sublimes de la Vénus botticellienne et les mains blanches et délicates qui la ceignent comme une tiare diamentée.- Ca ...- ...va ?- Je crois que je saigne. Un peu ...S’écartant, les doigts fins dévoilent des yeux de chat.- Pas moi, mais je dois être ...- Défigurée ? je ne crois pas. Faites voir ...Elle se découvre complètement, je la reconnais.- Vous êtes ...- ... abimée !- Non, ça va ! Croyez moi ! Une bosse va vous pousser mais...- C’est de ma faute. Et votre nez ?Je me découvre entièrement et elle me reconnait.- Vous êtes ...- ... immonde ?- Non, bien sûr que non ! Juste couvert de sang. Mais une fois nettoyé ...Je m’assied auprès d’elle et nous restons quelques minutes sans rien dire.Avant même ce coup, que je sens devenir foudre, j’aimais déjà Natasha Ramorsky. Par ses livres. Trois bonheurs purs. Ecriture à la Dremel, sens aïgu du comique, du grotesque, de la farce, de l’amour, de l’émotion, dosage parfait entre les genres, inventivité à fleur de peau, génie proéminent. J’aimais Natasha pour cette phrase, entre autres : "J’étais un monstre avide de coits sans lendemains" qui résonne sans cesse dans mon esprit depuis.Natasha est une aurore boréale, me laisse dans l’incapacité de savoir ce qu’elle est, où elle va, pourquoi elle existe, m’oblige à la trouve belle.C’est elle qui m’aide à me relever, qui me tient la main vers la salle de bain, mouille une serviette d’eau tiède, gomme le sang sur mes lèvres, très délicatement, me nettoie comme une chatte s’occupe de ses petits.- Merci !- C’est bien naturel !Je regarde son front dans la glace qui ressemble à un massif enneigé dont la blancheur immaculée serait souillée d’un bloc de rochers sombres et moussus ou bien une crème fouettée sur laquelle reposerait une boule de pistache entourée de crème de marron. Dès à présent des reflets mordorés s’installent et demain le violet fera un putch sanglant accompagné d’un bleu royal sombre et d’un vert hivernal.Quant à mon nez ...
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Iron... Hic !
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